Saturday, March 24, 2007

Làs bas, dans la province du Punjab

Je le confesse. J’ai bien essayé d’esquiver la légende textuelle que je dois aux quelques images glanées dans les ruelles de Lahore par l’illustration d’un autre voyageur. Vainement, j’ai feuilleté les pages du Web en quête d’un poème, d’un récit de voyage ou d’un extrait de conte, sans rien y fixer de déterminant. Kipling y laissa pourtant une trace avec son poème « If » tant et tant repris. Louise Brown, quant à elle, y tient peut être une chance de prix Femina ou celui des lectrices du magazine Elle avec son dernier récit « Les danseuses de Lahore ». Quant à Muhammad Iqbal, je ne trouve pas d’écrits qui me satisfassent, purifiés qu’ils seraient des références au nationalisme ; après avoir été spectateur des cérémonies quotidiennes tristement désopilantes, bien que parfois burlesques, de baissé du drapeau à la frontière IndoPakistanaise.

Lahore grouille d’histoires mystiques dans la brume d’une réputation sulfureuse. Et la ville se vie selon. Elle est à l’instar de ces berceaux historiques. Une urbanisation éclectique sertie le joyau d’une cité d’empereurs, de maharadjas, de princesses, et autres courtisanes. La vieille ville dans son corset de briques rouges, abrite le calme de la mosquée Badshahi et du Fort Shahi Qila. Perfections géométriques, magies architecturales, ultime maîtrise de l’air, de l’eau et des couleurs, quintessence du savoir être, religieux et social.


Et dans cette apparente sérénité empruntée à la sagesse du bouddha ou du prophète, une vie de fourmilière humaine se déroule sous mes yeux. Animée par la dualité solaire du rythme de cette vie fondamentalement, culturellement inscrite à l’échelle du jour qui passe, le reste n’étant que salut, réincarnation, et volonté d’Allah. Dans les ruelles étroites, protection providentielle contre les températures caniculaires, une multitude de petites échoppes s’enchaînent. Les bouchers débitent à coup de hache sur des billots du bois les poulets et moutons. Les tapissiers roulent dans un geste délicatement précis les rouleaux de tissu multicolore pour attirer le regard de la passante exigeante. Les pâtissiers font bouillir l’huile de friture ou les marmites de lait dans des récipients aux couleurs chaudes de cuivre et d’étain ou dorent les biscuits aux arômes épicés. Le vendeur de légumes présente au passant ces aubergines les plus charnues, ces fraises les plus rouges, et prend soin de semer sans arrêt les gouttelettes d’eau qui donneront à la menthe coupée quelques heures supplémentaires de fraîcheur. L’épicier lisse le dôme de poudre colorée qui indique au passant le contenu des sacs d’épices alignés au soleil de sa devanture. Chaque ruelle joue le rôle d’une frontière virtuelle qui sépare la ville en un échiquier géométrique ou chaque case concentre l’ensemble des boutiques qui partagent la même activité. Et chacun de mes sens, encore et toujours, bondit dans l’inconnu à chacun des croisements. Le temps paradoxalement est resté figé dans une tornade de sonnettes accrochées au charrues, de clochettes qui raisonnent de l’intérieur des temples, du chant des enfants récitant les versets du coran dans les madrasas.


Lahore est une merveilleuse machine à voyager dans le temps et agrippé sur le siège arrière d’un rickshaw, je passe de la période mongole, à une ville du 21ème siècle, d’une atmosphère coloniale britannique à la magie envoûtante des qawwali (chants dévots musulmans), du triste classicisme anglican à l émancipation spirituelle soufie.


Lahore fait partie de ces creusets d’Asie centrale ou se fondent les courants qui l’ont depuis toujours traversée comme se rencontrent plus au nord les torrents descendus de l’Hindukush et du Kakarokam et fertilisent les plaines du lointain sud. Mais hélas les pastels du tableau sont meurtris des maux trop souvent rencontrés d’une modernité qui s’impose. Les vraies larmes d’un hippopotame dans la cage d’un zoo qui n’a de style victorien que les dernières ruines d’un passé déchu accompagnent dans l’errance le regard des vieux dépassés par le temps, même présent. Si l’appel à la prière pouvait être chanté autrement que par une mécanique criarde en plus d’être défaillante.


Seuls le silence et la sérénité devraient être prosélytes, une fois passées les portes de fer forgé des mosquées ou des patios intérieurs ombragés par des arbres centenaires.


Alors n’en déplaise à beaucoup, ce n’est pas Kipling qui a bien des égards aurait du faire prudence, mais c’est à l’homme de Lahore que revient le mot du silence :


Ici.


Je l'ai rencontré
A Lahore par hasard
Il vivait dans la mosquée
Comme d'autres dans les gares

Je l'ai regardé
Le sourire en défense
Il voulait seulement parler
Des choses d'importance

Ici ici
On essaye d'être deux
Ici ici
Tant d'amour au feu

Souvent il m'écrit :
"Est-ce que tu pries ton dieu ?
Etes-vous femme et mari ?
Est-ce que tu es heureux ?"

Il n'a rien à lui
Que ces questions d'urgence
Il ne manque rien à ma vie
Juste y trouver un sens

Ici ici
On invente des jeux
Ici ici
Pour vivre avec ce bleu

Ici ici
On essaye d'être deux
Ici ici
Tant d'amour au feu

(Poème de Gildas Arzel)


Fin du 8éme mois à Kaboul

Photos:
http://fr.pg.photos.yahoo.com/ph/vinceball/my_photos

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