Saturday, December 03, 2005

Yé man !

Les embruns des alizés d’automne n’ont pas encore déposé sur les atolls caraïbes les colonies vacancières, transhumées par les vendeurs d’exotisme, proxénètes d’une beauté perdue, installés de l’autre coté du golfe du Mexique.
L’ouragan Wilma s’éloigne petit à petit vers d’autres longitudes et laisse derrière lui une mer inhabituellement agitée, une eau turbide, des boutiques aux rideaux baissés, des villégiatures vides. Le peuple de Jamaïque après des semaines de pluies tropicales intenses, se répare de l’angoisse d’une déviation subite du cataclysme qui aurait pu à nouveau le frapper directement de ses vents tourbillonnants, de ses précipitation diluviennes, des ses vagues rabotant les plages et meurtrissant les coraux qui sertissent cette île volcanique. Il est passé au large…cette fois.
Après une longue marche avec Matthieu sur la plage, nous arrivons dans ce lieu qui ce soir la animera les quelques curieux en mal d’attraction et de mélodies.
La scène est largement ouverte sur un public parsemé, absent, composé de quelques vacanciers, de jamaïcains aux coiffures rastas venus ici chercher plus que de simples notes, plus qu’un frisson d’accords reggae. Est-ce un appel à la communion universelle, rite de la religion rastafari, dont les églises n’ont de toit que les ciels de Jamaïque ou d’Éthiopie ? Est-ce l’auditoire d’un soir de l’expression originale d’une philosophie communautaire purement existentielle ?
L’arrière-scène est délimitée par un long mur, affichant une fresque peinte composée de visages multiples. Certains sont naturellement connus comme Bob Marley ou Jimmy Cliff, emblèmes mythiques, devenus au-delà des frontières des icônes au rabais d’une attitude anticonformiste d’un alter mondialisme terne, décalé, sans idée. Pour toujours. D’autres ne le sont pas, mais le caractère d’épitaphe témoignent de la violence qui parfois touche les communautés locales, victimes des guerres que se livrent les gangs des alentours, qui parfois font tomber les étoiles locales venues brûler leur talent sur l’autel du non sens.
Nous faisons quelques pas sur la terrasse de l’hôtel qui accueille cette soirée, hélés par quelques créatures féminines locales à la plastique avantageuse, dans les vapeurs de ganja et redescendons nous asseoir dans la fosse. Un groupe commence à jouer un reggae, inspiré, doux, moderne, parsemé de tentatives plutôt réussies de créations d’auteur. Ils sont légion ici les apprentis musiciens mais combien d’entre eux ont su laisser le répertoire local classique et les reprises incessantes, souvent hasardeuses des hymnes de Bob Marley, pour s’aventurer dans les interstices de cette musique née d’une parenté naturelle et complexe, fusion des airs envoûtant les populations vivant de part et d’autre de l’océan atlantique ?
Alors que la musique commence, j’aperçoit un homme, petit, âgé, du coté jardin de la scène. Il est modestement vêtu d’un pantalon noir, d’un tee-shirt rouge et sa tête est recouverte d’une crinière de dreadlocks blancs. Il va et vient sans raison à tel point que je ne saisis s’il est un vieux fou, aimé et respecté de tous ces compatriotes pour un passé glorieux ou bien s’il fait partie du spectacle ; mais alors quel est son rôle ?
Il dépose délicatement une vieille chaise peinte en jaune sur le devant de la scène et la surélève adroitement de trois bouteilles en verre vides de Red Stripe, la bière locale. Mais pourquoi trois alors que comme toute chaise celle ci à quatre pieds ?? Il en donne quelques instants plus tard, après avoir enlevé ses vêtements, une réponse immédiate et stupéfiante en volant tel un oiseau sur cette chaise, un équilibriste à l’esprit ailleurs, un danseur transis pas cette musique emprise de liturgie. Son corps est léger, libre et imprévisible comme les fumées de la ganja. Il joue avec la gravité, avec le centre de l’équilibre universel, invitation à le suivre dans son monde. Il saute du dossier, aux barreaux, s’assoie, se lève, fait le poirier en équilibre sur une main. Il pourrait être sur un cheval d’arçon, des barres parallèles, un trapèze…
Cet homme porte sur lui les stigmates du temps qui lui a tanné et coloré la peau. Le soleil, l’eau du lagon se sont chargés de la lui affiner peut être au gré des plongées et des pêches, près de la passe en quête de homards ou de poissons clown. Il est une lumière allumée du passé, dans l’essence artistique, exprime les danses, les regards, les mouvements corporels tels que les traditions orales les décrivent depuis les temps immémoriaux perdus aux plus proche des racines généalogiques de l’espèce humaine locale, pour la plupart rescapée des transatlantiques négrières.
Réalise t-il qu’il passe à travers le faisceau de la lumière jaunie d’un spot opportun, mise en scène du destin qui le propulse tendrement sur le terrain de nos émotions du soir. Mystérieuse condition humaine que celle de cet homme qui normalement devrait geindre la complainte de l’arthrose et qui au contraire est plus agile qu’un athlète, plus léger qu’un oiseau, plus fluide que l’eau à travers les galets. Il enchaîne de chanson en chanson, l’équilibriste de la chaise, le cracheur de feu, le mime. La musique en devient alors un art secondaire, dans cette île ou un hymne immortel raisonne chaque jour, dans chaque maison, sur chaque partition d’un apprenti musicien, puit inépuisable d’inspiration. Les corps des spectateurs restent statiques, fixant d’un regard embrumé et admiratif le vieil homme. Les pieds n’accompagnent plus la caisse claire depuis son entrée en scène, les lèvres se sont figées, les paroles chantées se sont faites murmures et pensées…

Dans un éclair de mes sens, je demande d’une façon impromptue à un couple d’anglo-saxons s’ils peuvent m’envoyer par mail les photos numériques qu’ils sont en train de prendre tout en leur tendant mon email. Je n’ai jamais reçu ces clichés.

Entre deux morceaux, le chanteur présente son groupe, le petit homme a quatre vingt deux ans.

Sunday, August 28, 2005

Plénitude casablancaise...


Je reste là, sans bouger, sans comprendre. Etranger. Dérouté par son sourire aujourd’hui spontané et moderne, teinté d’assurance, mais toujours si fragile, émergé d’une récente genèse. Bouleversantes attitudes, échappées des carcans, affranchies des affres d’un passé qui encore contraint le futur.

La démarche est libre, le pas est dansé. Le tissu vole au vent, fluide et léger. Souplesse d’un corps qui a trouvé l’aire d’envol, parenthèse opportune, ici et maintenant.
Je foule prudemment l’avant scène d’une femme en naissance, en gardant intimement, en silence, l’émotion des secrets de coulisses.


Oubliée la lenteur ancestrale imposée d’un soleil de tropique, le cœur bat comme la vie. Elle jouie au présent d’une volonté tendre et farouche d’existence, guidée sans conscience par le chant des sirènes venu d’un espace aujourd’hui planétaire. Insolente et téméraire, elle captive la vitesse pour remplir son sac de fragments de bonheur, espérant un jour qu’ils fusionnent, créant l’alliage de l’expérience acquise.


Elle porte fière les couleurs d’un ailleurs tout en étant elle même. Que vienne vite ce créateur magique qui saura réconcilier l’identité et le paraître, volant à la nature aux traditions et à l’esprit du rif, la douceur, l’alliance et l’alchimie des couleurs de l’Atlas.

Sans résistance, mon esprit est troublé au constat que sa peau est dorée, des sables les plus rares, des ombrages les plus frais. Je capte furtivement la mélodie musicale du flirt de deux partitions linguistiques, dans une prosodie souriante, soutenue et vibrée. Quel est le ton de sa voix quand elle est attristée ?


Elle ravine les cœurs et fixe les regards. Trapéziste et jongleuse, c’est grâce à sa beauté qu’elle fait frémir les âmes. Les canons ont aujourd’hui ses faveurs et portent avec eux la sécurité réconfortante, que l’horizon, temporaire interdit, fragilise.

Pourquoi après tout vivre une lointaine aventure quand le nid de son être pour l’instant y suffit.
Dans un écrin de soies, cousues de dentelles, nudités opportunes et ludiques, je vois s’échapper au loin ce papillon aujourd’hui, chrysalide d’hier. Citadine, elle accompagne ses ambitions et ses rêves à travers les étroites ruelles blanches et bleus, au pied des remparts restaurés.

Elle plaide sans vergogne le secret d’un jardin de sincérité, de simplicité sans savoir qu’un brillant ne sera jamais si précieux car c’est elle qui en est le diamant. Elle est la richesse présente et future d’une nation, l’essence d’une royauté salvatrice, la fronde d’une nouvelle maternité, l’élégant modèle de la féminité, le témoignage insoupçonné d’un courage exemplaire qui, sans un mot, brave l’extrême exégèse.

Qui saura faire comprendre aux hommes qu’il vaut mieux parler en silence, laisser Dieu au repos, et confier serein le destin à celles qui portent le monde plus qu’elles ne portent les armes.

Fière et digne, sa détermination forgée au fil d’une éducation rigoureuse elle sera désormais l’avocate d’un pays mal connu, combattant les truismes d’ignorants, engagée, militante et discrète. La vérité ne viendra que du charme, le salut de la raison, et l’amour infini.

J’aimerai tant être en altitude du temps, au confluent de deux mondes, abstrait des époques et des modes. Qui m’a enlevé l’échelle qui m’empêche de redescendre du rêve à la vie ?

Le cynisme me quitte, qui empêchait ma souffrance.

Rencontres éparses, Casablanca, dimanche 28 Août 2005

Sunday, August 21, 2005

Nouakchott (18.06 Nord / 15.57 Ouest)

Nouakchott. Mauritanie. (N18.06 / W15.57)
Je réalise parfois à quel point cette ville sortie du désert dans les quarante dernières années reste encore exotique et mystérieuse, quand j’entends les pilotes et hôtesses d’Air France ou les nouveaux arrivant immanquablement la prénommer « Nouakchok ».

Elle est un point GPS sur une road book d’une étape d’un rallye sans enjeu ni surprise. Un hypothétique eldorado pour des aventures commerciales hasardeuses de vieux routards de l’Afrique, à peine sortis des époques coloniales ou ils avaient échoué leurs carcasses de baroude éthylique. Un point de ravitaillement pour quelques aventuriers descendus d’Europe venus y troquer une parenthèse de road movie contre une mythique Peugeot 504.
Mais elle se dessine aussi comme l’arche finale d’une marche de longues semaines, pour quelques bergers que l’on croise le long de la route de l’espoir, qui suivent leurs troupeaux de chameaux destinés à l’abattoir à l’entrée de la ville, en contrebas des premières dunes. Elle se veut la terre promise pour ces broussards au bâton, petits agriculteurs agro pastoraux, en quête du sous qui viennent grossir les zones de baraquements fragiles et surpeuplés. Elle constitue un monde à elle seule ; monde dont je n’ai pu qu’en partie saisir les règles sociales subtiles, héritées de l’histoire des tribus, cocktail détonnant – et parfois déroutant – ou se mêlent dans un creuset inaccessible la religion, les traditions, les règles tribales, le modernisme, l’opportunisme. Le mal et le bien.

Nouakchott est meurtrie ces derniers mois. Les rues aujourd’hui sont jonchées de panneaux, d’enseignes et autres paraboles envolés, obstruées d’arbres déracinés, recouvertes d’immondices déplacées par les eaux, animées du bouillonnement des égouts qui remontent en surface. Le ciment et la peinture des nouvelles constructions du programme de logement social sur la route de la plage dégoulinent et se craquent sous les pluies drues et pleurent déjà la corruption du système qui fera que tout sera bientôt à refaire. Après un coup d’Etat, une situation alimentaire délicate et une épidémie de choléra, c’est une ville essoufflée que je quitte même si cette population semble vivre ces évènements dans un fatalisme sans angoisse.

Vingt deux mois passés en Mauritanie car j’ai aimé ce pays, les rencontres, tout comme j’ai aimé y faire ce que pour quoi j’y étais venu. Je relis brièvement les quelques phrases que j’avais griffonnées à mon départ de Ho Chi Minh ville il y a deux ans et à nouveau je réserverai aux mois à venir le travail de tamisage qui me laissera avec des souvenirs précis, une mémoire sereine, un esprit léger et apaisé même si je suis déjà heureux du bilan qui est le nôtre.

Le nôtre car cette aventure est toujours et heureusement celle d’une équipe. Arbi, Marie, Lémine, Boubacar et Brahim, Diop et Aichetou, l’équipe du Centre de Traitement. Equipe fragile que je confie avec un soupçon de paternalisme à celle qui me succède. Chacun d’entre eux doit distendre le lien qui nous unit pour ce qu’il a d’amical, d’affectif et comme à chaque fois se réadapter au nouvel arrivant.

J’ai laissé au loin beaucoup de paysages que j’aurai scruté hors du temps. J’aurai aimé fouler le sable des villes mystiques de Oulata, Tichit, naviguer sur une pirogue entre Bogué et Kaédi, passer plus de temps à Iwik ou bien Ouadane, prendre le temps de chiner dans les décharges maritimes de Nouadhibou à la recherche d’un sextant oublié ou d’un cabestan.
Je suis passé à côté de biens des rencontres qui m’auraient enrichi. J’ai manqué bien des rendez vous avec moi à travers ce que j’aurai pu ressentir à organiser une vie culturelle et sociale plus active. Tout cela n’est pas grave.

La Mauritanie m’offre de nouveaux passagers à bord de ma vie, Antonio, Tèje, Jean Jacques et quelques autres. Et là est l’essentiel.

Fin du 22ème et dernier mois en Mauritanie pour rejoindre mi septembre mon port d'attache.

Amitiés
Vincent

PS 1 : Il est toujours temps de rejoindre les premiers gagnants qui ont courageusement pris leur plume pour inscrire sur le forum quelques mots partagés (pour les règles Cf. carnets de routes du Balloon).

Sunday, July 17, 2005

Et vous ?

"La Terre est un jardin bordé de nuit.
Tels des aveugles nous avançons, mais sûrs de nous, fiers, cruels, consommateurs, assoiffés de profit. Modernes?
Que restera-t-il à nos enfants de cette oasis si humaine?
Seront-ils seulement là pour contempler nos méfaits ?
Verront-ils, comme nous, les fleurs, le désert, le ciel aux mille étoiles..."
Théodore Monod

"Devenir ami avec les dieux en vaut la peine, cela leur fait plaisir et ils nous emmènent alors de temps en temps dans la troisième dimension où les choses s'éclairent et se transforment en évidences limpides et efficaces, je sais de quoi je parle, je les ai souvent fréquentés ...ici et là-bas."
Bernard Moitessier

"Les mots sont impuissants à décrire certaines émotions. Les plus vrais, les mieux choisis, trahissent le plus souvent la vie. D'abord parce qu'en eux-mêmes, placés dans une phrase, ils ne font que traduire une forme particulière de l'expression, modelant à tout jamais un seul état d'esprit. Car les états d'esprit, comme les actes, varient selon l'angle sous lequel on les examine. Je me refuse à emprisonner nos actes dans le moule rigide des phrases : je veux que vivent toujours en moi telle journée magnifiée par l'éclat de ma jeunesse, telle autre fertilisée par le grain d'où germerait mon avenir, telle autre encore, bouillonnante du défi que je lançais à une Europe exténuée, et qui toutes démontrent qu'au fil des ans ma volonté d'être ce que je sois n'a fait que s'affermir."
Ella Maillart

"Vis comme tu penses si tu ne veux pas finir par penser comme tu vis"
Paul Emile Victor

"C'est la contemplation silencieuse des atlas, à plat-ventre sur le tapis, qui donne ainsi l'envie de tout planter là. Songez à des régions comme le Banat, la Caspienne, le Cachemire, aux musiques qui y résonnent, aux regards qu'on y croire, aux idées qui vous y attendent..."
"Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu'il se suffit à lui-même. On croit qu'on va faire un voyage, mais bientôt c'est le voyage qui vous fait, ou vous défait. "
"La dialectique de la vie nomade est faite de deux temps: s'attacher et s'arracher. On n'arrête pas de vivre ce couple de mots tout au long de la route. On a peine à quitter les amis que l'on s'est faits, mais en même temps on se réjouit de la chance qu'on a de pouvoir se promener sur cette planète. On se dit, si cette amitié doit durer, elle durera Inch'Allah. Dans la plupart des cas, elle ne dure pas.
Mais j'ai été très aidé en voyage. Il faut dire que c'est tout à fait comme dans la Grèce homérique, lorsqu' on est sur ces très mauvaises routes. On prend son temps, on fait des rencontres, on se dit : tiens, il y a un remarquable joueur de cithare ou un cornemuseur renommé dans la province. S'il n'est pas là, on s'installe une semaine, on l'attend. Quand on l'a écouté, on a eu à peu près ce que la région pouvait vous donner de meilleur et quand on va plus loin, on a des choses à raconter, des musiques à faire entendre. Donc, le voyageur a lui aussi une fonction nourricière. Nous, on nous tuait de questions et moi aussi, quand j'ai voyagé seul. On n'arrive pas les mains vides, on apporte son écot."
"Ce jour-là, j'ai bien cru tenir quelque chose et que ma vie s'en trouverait changée. Mais rien de cette nature n'est définitivement acquis. Comme une eau, le monde vous traverse et pour un temps vous prête ses couleurs. Puis se retire, et vous replace devant ce vide qu'on porte en soi, devant cette espèce d'insuffisance centrale de l'être qu'il faut bien apprendre à côtoyer, à combattre, et qui, paradoxalement, est peut-être notre moteur le plus sûr"
Nicolas Bouvier

"Amer savoir, celui qu'on tire du voyage"!
Baudelaire


Bravo aux premiers gagnants du jeu: Erwan, Tèje, Claire, Martine, Caroline, Luc, Hélène et Isabelle

Et vous ?

Amitiés
Vincent

Au fil du nomade


Chausse tes sandales
et foule le sable
qu'aucun escalve n'a piétiné
Eveille ton âme
et goûte les sources
qu'aucun papillon n'a frolées
Déploie tes pensées
vers les voies lactées
dont aucun fou n'a osé rêver
Respire le parfun des fleurs
qu'aucune abeille n'a courtisées
Ecarte-toi des écoles et des dogmes
Les mystères du silence
que le vent démêle dans tes oreilles
te suffisent
Eloigne-toi des marchés et des hommes
et imagine la foire des étoiles
où Orion tend son épée
où sourient les Pléiades
autour des flammes de la lune
où pas un phénicien n'a laissé ses traces
Plante ta tente dans les horozons
où aucune autruche n'a songé à cacher ses oeufs
Si tu veux te réveiller libre
comme un faucon qui plane dans les cieux
l'existance et le néant suspendus
à ses ailes
la vie la mort
Hawad, Caravane de la soif, traduit du Touareg aux Editions Edisud.
Fin du 21éme mois passé en Mauritanie.

Saturday, June 18, 2005

Le jeu mégalo du Balloon

Je suis assis face à l’océan, sur une plage calme à quelques kilomètres au nord de Nouakchott.

Cet endroit s’appelle le cabanon. Sûrement par référence aux quelques cabanes, construites de bric et de broc, essaimées le long de la plage. Parfois effondrées par la puissance d’une vague ou d’un coup de vent du grand large, parfois rouillées quand elles prennent simplement la forme d’un conteneur déposé là par qui ? Pour quoi ?

La couleur des vagues oscille entre le vert jade et le gris vert, selon l’intensité du spectre de lumière qui traverse les masses d’eau venues de l’horizon qui meurent en rouleaux déferlants. Des milliers de petits poissons agitent la surface de l’eau au plus grand bonheur de quelques oiseaux marins, qui plongent et replongent inlassablement en quête d’un festin providentiel.

Je repense à la conversation que j’avais en début d’après midi avec Imane et qui me fait réaliser que nous sommes déjà à l’aube de la trêve estivale. Trêve estivale ou espace de temps pour soi, pour la recomposition, la régénération de forces qui s’émoussent au fil des années, pour le repos version front populaire.

J'ai bien pensé une seconde faire quelques lignes sur des sujets dont je me rends compte après coup qu’ils ne sont intéressants que si ils sont sujets de joutes orales, si possible arrosées d’un Anjou ou d’un Saint Nicolas de Bourgueil. Et donc pas ici et pas maintenant.

J’ai bien aussi été tenté par quelques couplets impudiques, antidotes pour ceux dont la timidité les empêche de mettre quelques commentaires sur ce blog. Mais ils n’ont finalement ni les couleurs ni la sérénité qu’offrent la nature et le temps buissonniers.

Comme j’imagine, en cette veille de vacances, doivent fourmiller les jeux les plus déroutants et débiles sur les couvertures de magazines et dans la lucarne du petit écran, pourquoi ne pas, moi aussi, y aller de mon petit quizz ?

La règle du jeu est simple. Les vingt premiers messages et commentaires qui seront inscrits sur le forum (Cf. les liens dans la colonne de droite) gagnent un souvenir que j’aurai plaisir à ramener dans mes malles mauritaniennes et vous porter où que vous soyez.

1. Sujets libres

2. Min 50 mots

3. Inscrits sur le Forum du Ballon

Ce pays de nomades a un artisanat coloré, travaillé, précis. A une petite échelle, ce sera le prétexte pour vous lire, vous revoir, rapporter un peu d’eux là bas que je dois désormais apprendre à considérer comme étant un peu de moi ici…

A vous lire.

Bonnes vacances à toutes et tous

Amitiés

Vincent

Sunday, May 29, 2005

Et si la journée commencait par un sourire ?

Il y a des jours, on se réveille avec la gueule de bois. Oh non ! pas forcément la rabelaisienne des grandes ivresses enjouées et festives de camaraderies. Non, plutôt celle plus ténue et sombre liée à un abus de sommeil, à un pied gauche trop rapidement posé sur le sol, à un va t’en guerre qui s’exécute, à une semaine qui commence, à un choix difficile, à un futur incertain, à un raz de marée électoral !

Ne comptez pas sur moi pour disserter sur les résultats du vote de ce soir… d’autres vont s’en charger ! Et il ne servirait à rien d’argumenter les déclarations de celles et ceux qui à travers la lucarne de TV5 n’ont fait qu’afficher des mines radieuses de vainqueurs amnésiques ou des expressions déconfites de circonstances.

Et pour les quelques uns qui ont soulevé l’absence de démocratie en Europe, même si aucun système n’est parfait, nul doute que nombreux sont ceux prêts à les inviter de par le globe à venir passer quelques jours pour qu’ils viennent prendre le recul nécessaire à la révision de leur sémantique !

J’ai à nouveau ce week-end eu la chance de croiser sur mon chemin Kemal, Charlotte, Fabien, et Antonio, êtres aux parcours admirables, aux paroles douces et réfléchies, à l’humilité vraie contrastant avec une certaine démagogie voire arrogance, affichées des deux cotés sur les plateaux de télévision ou dans les quartiers généraux.

Puisse cette ferveur de tout ceux qui se sont prononcés pour le oui et pour le non se rassembler pour une fois autour d’une vraie action militante proactive, créative et innovante, constructive et tolérante.

Sans oublier jamais tous ceux qui ici et ailleurs, du Magreb à l’Afrique, du Moyen Orient à l’Asie, hors d‘Europe, se réveilleront ce matin, un peu brusquement, de leur rêve d’idéal…

Bonne journée.


Amitiés
VIncent

Monday, May 16, 2005

Un dimanche avec Allah

Dieu et Allah se sont réconciliés en Mauritanie. Désormais ce sera le samedi et le dimanche qui seront chômés et plus le vendredi, samedi. Dommage, cela donnait un petit air de différent, de pas pareil. Cela me procurait une certaine impression, d’inconfort, de résistance à l’habitude que le temps parfois nous fait prendre. Ce sentiment toujours étrange d’être au moins le temps d‘un jour en décalage du reste du monde.

C’est donc un travail de dimanche soir que celui de l’écriture.

Qu’est ce qui fait qu’il est parfois dur de prendre le plis, de s’habituer à certaines choses, à certains rythmes. Une nature humaine intime, bâtie de son histoire personnelle, enlacée de carcans silencieux, recouverte d’une culture conquérante. Finalement, est ce que la partition d’une vie n’est pas faite de ces lignes tendues et figures imposées entre lesquelles nous n’avons d’alternative que celle de jouer au parcours du combattant à la recherche de notre plaisir ou bien subir ou mourir.

Le vent s’est levé dans la nuit. Malchanceux celui qui avait laissé les fenêtres ouvertes… Un souffle de Nordeste a soulevé les plus fines des particules du désert, et les a transportées violemment vers le grand large d’un Atlantique devenu hostile pour quelques heures. Il n’a pas oublié de marquer d’une empreinte dorée chaque objet posé de ci et de là, comme une ombre figée attendant un nouveau souffle. Ce vent s’immisce dans Nouakchott apportant avec lui les radiations irritantes d’un air brûlant d’avoir, des jours durant, été au contact des étendues infinies de sables et de pierres. Les lumières des maisons se font plus douces à mesure que l’intensité électrique baisse faute pour l’homme du désert de pouvoir satisfaire aux besoins d’atmosphères réfrigérées de tous ses compatriotes devenus subitement modernes.

L ‘océan est chaud mais si triste d’un mariage de circonstances qui fait pâlir ses couleurs, d’habitude si vives, si opposées à ces pastelles éphémères. Le ciel souffre, du petit matin au soir tombé, de ne pouvoir offrir que les contours voilés d’un soleil espiègle, sans pouvoir dissiper ce buvard de sable et offrir au regard une érotique dentelle de clarté. Astre jaloux aujourd’hui de n’être plus le Roi source, relégué au jardin alors que la pièce se joue côté cours.

Les khaimas (tentes berbères installées sur les toits ou dans les jardins) arrachent leurs liens au sol, les buissons d’épineux roulants brûlent la priorité sur les pistes, les boubous des hommes maures et les melafas des mauresques deviennent des refuges providentiels et si peu esthétiques portés de la sorte, recouvrant leurs têtes.

C’est dans une léthargie passagère, et bien compréhensible, dans laquelle sombre alors la population que s’inscrit sûrement une forme de salut, emprunte de sagesse, mûrie depuis les temps ou naquit la tradition, et qui tient à l’écart toute agressivité ou soubresaut d’humeur ; en attente de l’accalmie espérée d’un lendemain.

La saison des pluies, des vents chauds commence. Elle m’accompagnera très certainement durant ces dernières semaines en Mauritanie avant que je ne retrouve pour un temps les airs tempérés de latitudes que j’espère plus accueillantes parce qu’elles vous y trouvent. La nécessité d’y terminer ce pourquoi je suis venu a eu raison d’une amputation temporelle de cette saison de peine qui aurait rendu mon esprit bancal et insatisfait.

J’ai retrouvé, depuis quelques jours, une ville Nouakchott non seulement vidée de ses habitants, calfeutrés chez eux, mais également de mes compagnons de route, Tèje, parti vogué sur les flots du Gange et Antonio. Comme si il me fallait déjà m’habituer au détachement inexorable dont je serai le sujet au fur et à mesure que l’investissement amical de ceux qui restent diminuera voire s’effacera, et m‘habituer à une forme de solitude. Pourquoi est elle si peu élégante les soirs de dimanche ?

Finalement, et à nouveau, il va falloir virer de bord et quitter cette route s’éloignant ainsi d’un rivage sur lequel je laissera prêt de vingt deux mois de mon existence, des succès et des échecs, des heureux et des déçus, des rires et des larmes, des arrivées et des départs, des secrets et des impudeurs…Tout ce que l’humilité me commande de ne voir que comme la trace d’un végétal sur le sable qui s ‘efface aux premiers vents de sable chaud…

Fin du 19ème mois passé en Mauritanie.

Tuesday, March 01, 2005

Soulier N°19

Je suis assis sur un vieux siège bancal à la vigie du soulier numéro 19, 129éme wagon du train de 12h30 qui relie Zouerate à Nouadhibou. Un des trois trains quotidiens.
Zouerate une citée minière perdue en plein désert, une île. Nouadhibou un port, souvent l’avant dernière étape pour des hommes qui regardent le nord comme on aspire à une dernière chance.
Le vent frais souffle d’un hublot à un autre. La lumière est blanche dans ce désert de sable et le soleil au zénith est éblouissant. Devant moi, 16 000 tonnes de minerais de fer marient une poussière rouge au sable blanc soulevé par les 450 essieux des wagonnets. Tous siestent après la prière et le thé, je suis seul.

A l’aller, 210 wagons, plus de deux kilomètres de long, le plus long, le pari insensé d’hommes fous et audacieux… Tout ici est gigantesque, démesuré et simplement beau. Des dunes, aux camions, des montagnes de fer à l’accueil qui m’y est fait, quelques merveilles réunies de cette aventure qui dure.

Qu’il est loin le souvenir même récent du confort des trains français. A chaque accélération ou ralentissement, le convois subie une onde de choc incroyable qui peut si vous n’être pas correctement cramponné vous propulser à plusieurs mètres dans le wagon. Les roues crissent, ce long ruban tangue et roule au gré des imperfections et des méandres des deux brins d’aciers qui le supporte.

La vigie surplombe l’ensemble du train et est située sur un petit wagon de la taille d’un conteneur qui offre un confort tout relatif aux personnes de la société minière quand ils doivent se rendre du port à la mine. Comme à la passerelle d’un navire, on voit à des kilomètres à la ronde les massifs noirs isolés, filon de minerais de fer ou d’or, objets de toutes les convoitises et attentions prospectives. Sept cent kilomètres de voies, 20 heures de voyages et pour seule animation quelques bribes de conversations VHF inaudibles entre les conducteurs et les employés qui vivent sur quelques bases de vie réparties tous les cent kilomètres de ce fil d’ariane.

Le convoi se meut à 40 kilomètres par heures mais à de nombreux endroits est contraint au ralentissement pour cause de travaux, de dunes mouvantes qui ont recouvert en quelques heures la voie ou bien de malade à évacuer vers l’hôpital le plus proche !
Ou quand la notion de proximité s’est apparentée avec celle du temps suspendu…

Nous venons de passer une base de vie, kilomètre 569. Quelques palmiers sous perfusion des wagons d’eau amenés une fois par mois de la source qui se trouvent à des centaines de kilomètres. Quelques maisons basses, fouettées par les vents. Toutes ceux qui y vivent sont de près ou de loin des employés de la société minière, salariés ou appelés pudiquement journaliers, en charge de la sécurité du train. Celui-ci ne s’arrêtent pas mais continue un peu plus doucement sa route et tous s’affèrent à observer si un essieux n’est pas bloqué, et si les sabots d’accrochage tiennent le coup sous les chocs qu’ils endurent, si un patin de frein n’est pas rester en contact avec une roue. L’inertie et la taille démesurée de ce train ne permettent pas au pilote de se rendre compte d’une telle panne. Pas de problème mécanique nous continuons. Un petit paquet est furtivement jeté par la fenêtre, du courrier.

A la sortie de la base est garé un petit train de couleur, une micheline et deux wagons qui baladent dans ces immensités quelques touristes venus chercher quelque chose de différent, de pas pareil !

J’aime cet espace de temps qui à l’instar de ce que l’on peut ressentir en bateaux, vous isole de toute vie extérieure. Nous sommes en milieu de journée et l’arrivée est pour demain, et elle sera quand elle sera au gré des pannes, des imprévus, de ce que la nature a aussi décidé. Seul mon ordinateur portable sera dans quelques heures une source de divertissements quand la nuit sera venue, que les quelques passagers et convoyeurs se seront endormis.

Au loin, j’aperçois quelques tentes blanches de nomades. Ils doivent être les bergers de quelques ânes, moutons et dromadaires qui paissent ce que les criquets ont bien voulu laisser de leur festin des mois passés. Là, prend plus qu’ailleurs la vraie signification de peuple couché, image attribuée à un anthropologue du début du siècle pour qualifier sa vision des peuples nomades qui habitent le désert. Comment pourrait il en être autrement par ses chaleurs et ses vents qui balayent la région.

Tout au long du train, des passagers clandestins qui voyagent assis sur le minerai dans des conditions invraisemblables fument des cigarettes, se préparent le thé et trient les quelques marchandises qu’ils vendront une fois arrivés.

Quelques heures ont passé. Hasard ou coïncidence, ce soir c’est la pleine lune et ce travelling n’en sera que plus long…

Fin du 16ème mois de ce beau voyage en Mauritanie.

Merci à Gilou et JC pour ce qu’il m’ont donné ici et m’avoir aussi permis de mettre tout cela en musique… et bonne chance à Jean Marc et Ludovic pour la suite de leur voyage vers le sud.

Je vous embrasse
Avec toute mon amitié
Vincent