Sunday, December 14, 2003

Entre Océan et désert...

Je gare la voiture le long du souk N° 8 pour aller acheter quelques fournitures de bureau chez un commerçant libanais. A Nouakchott, les trottoirs sont faits de sable. Comme si le désert avançait, et d’ailleurs il avance. Seul les chemins de bitumes où circulent de gros 4x4 peuvent contrer ce linceul qui délicatement se dépose sur la nature humaine. Des maures – ethnie arabe du pays – se ruent à ma fenêtre pour me faire le change au noir ; des hommes aux tuniques bleues qu’ils remontent inlassablement sur leurs épaules comme les femmes repositionnent leurs voiles de couleurs sur les cheveux. C’est tellement différent un voile quand il est de couleur…
Cette ville à des allures de far west encore épargnée de la folie des grandeurs. Pas d’immeuble, pas d’enseigne sauf quelques néons jaunis par le soleil, le sable ou l’age peut être. Des coiffeurs barbiers, des boucheries halal où pendent à l’extérieur des carcasses de moutons, quelques cybercafés, des épiceries des vraies, des vendeurs de tout et de rien, une petite fourmilière mi arabe, mi noire africaine chantée cinq fois par jours du haut des minarets. De vieilles Renault 12 sans frein aux voitures de luxe des quelques familles riches du pays passent en trombe sans même effrayer les ânes conduits eux à coups de trique. Cette ville ressemble au chaos, je ne puis dire encore si il est organisé ou non. Ce qui est sure, c’est qu’on sent déjà les torpeurs accablantes qui écrasent plusieurs mois par an les mauritaniens et les autres, et ici aussi c’est l’hivers...
Nouakchott est à quelques encablures de l’océan atlantique. Quelques kilomètres que l’on parcoure entre décharges à ordures sauvages, nouveau quartier sociaux aux constructions grises, terrains vagues et no man’s land. Au bout de la route, il y a la plage. Spectacle africain par nature que celui des pêcheurs remontant les bateaux en fin d’après midi et les vidant de leurs prises impressionnantes. Des poissons de 30, 40 kilos voire parfois plus. Des dorades coryphènes, des thons blancs, des diops, des sardines, par milliers, par centaines de kilos. Quelques touristes immortalisent ces couleurs. Quelques toubabs locaux bronzent un peu plus loin sur la plage du même nom ou bien devant le seul hôtel distant de quelques dunes. Je passe ici en fin d’après midi, après le travail, souvent.
De la plage on aperçoit au loin en regardant vers l’est, les courbes des premières dunes de sable rouge. Pas les dunes immaculées que l’on peut trouver un peu plus au nord. Celles-ci sont recouvertes de buissons épars, d’une végétation anguleuse et piquante. Elles affichent déjà à elles seules, toute la puissance de ces paysages, l’union entre la beauté et la mort. Je me suis enfoncé ces derniers jours de plusieurs centaines de kilomètres sur la route dite de l’espoir qui relie Nouakchott à Bamako au Mali. Un lacet de bitume jonché de cadavres, animaux victimes de camions pressés mais aussi des sécheresses des derniers mois. J’y suis parti plus proche du petit prince et des réalités mécaniques des spectacles automobiles qui nous offrent par procuration des images lavées de la réalité. J’en reviens avec un étrange sentiment (et quelques désagréments aussi !) que Saint Exupéry n’est qu’une fable et le nomadisme une nature mais que seule l’union de cette pureté irréelle du conte et de cette réalité impure du désert est la vraie porte qu’il faut trouver pour y être...

Avec toutes mes pensées

Vince

Sunday, November 16, 2003

C'est différent , c'est pas pareil...!

C’est différent…c’est pas pareil…

Le long des routes, des silhouettes ; rendues floues dans l’air chauffé à blanc par un soleil de plomb, elles me remettent en mémoire l’habit de soie traditionnel vietnamien dont la légèreté au vent avait gommé les contours. La fluidité de formes indéfinissables. Elles ne sont pas les contours du corps mais peut être une expression de l’esprit de celui ou celle qui porte ces tuniques colorées. Qu’elles soient d’origine sénégalaise, version boubou qui découvre une épaule, ou bien la djellaba des musulmans, elles affichent toutes des couleurs recherchées au plus profond des symboliques de l’histoire humaine et des contraintes de la vie locale empruntes de chaleur, de désert.
J’essaie depuis quelques jours de pratiquer ce grand écart un tantinet rapide entre l’Asie du Sud Est et un de ces joyaux, le Vietnam, et ce pays un peu méconnu d’Afrique de l’Ouest, confluent des arabes et des noirs, des nomades et des sédentaires, des marins et des terriens, des mers salées et des mers de sables, la Mauritanie.
Mon retour à Paris vu bref et je ne suis pas encore sorti tout à fait du Vietnam et de l’intensité de ceux que j’ai pu y rencontré, encore si présent à mon esprit.
Pour ceux qui le souhaitent (merci de me prévenir dans le cas contraire), je vais reprendre aussi régulièrement que possible mes écrits qui n’ont pas la prétention de satisfaire à une correspondance plus personnelle mais qui je l’espère laisse planer au détours d’un mail un soupçon d’ailleurs. Et promis, j’essaierai à nouveau de vous répondre à chacun d’entre vous.

Me voici donc désormais vivant à Nouakchott, travaillant à nouveau pour la Croix Rouge en République Islamique de Mauritanie…

Amitiés à tous

Friday, August 15, 2003

Xin Chao, Cam on...

Salut mes amis

Voici la dernière missive qui clôture douze mois de présence au Vietnam. Je ne coucherai pas sur le papier des confidences impudiques et un bilan précoce de ce que fut ma vie ici. Encore au volant de ma moto locale, dans les rues enfumées par les barbecues, dans le chaos de la circulation, sous les pluies chaudes et drues des orages de la mousson, je ne crois pas que ce soit le moment de tirer quelque leçon que ce soit.

Je crois que tout de même que nous avons fait avec l’équipe du bon travail. Il m’a, en tout cas, donné l’envie de pousser plus loin, de continuer. Le travail humanitaire n’est pas sans écueils mais en est il un qui soit sans ? En tout cas je pars avec la certitude que cette dynamique doit se poursuivre.

J’imagine que nous aurons le temps de discuter de cela dans les prochains mois. Et la perspective heureuse de vous revoir n’est pas sans donner un coté positif et attrayant (le seul ?) à ce retour en France…

Si je n’avais de crainte que la lecture en soit laborieuse, j’aurais tant aimé remercier nominativement tous ceux qui ont fait de cette année une richesse d’échanges, de partage et j’espère de plaisirs réciproques. De la petite vendeuse de cafés installée sur le trottoir devant le bureau, aux vendeuses du marché Ben Than, de mes camarades de jeux, Phuong, Laurent, Yen, Ngoc, Thach, Maï Do, Xuan, Chloé, Sabine - et les autres - à tous les vietnamiens qui ont ensoleillé mes journées de leurs sourires naturels ; sans oublié ceux hélas déjà perdus de vue, ou que je n’ai su voir plus souvent, ni ceux qui ont eu l’occasion de mettre une pierre de plus à notre amitié en passant me voir ici.

A travers le Juda d’une information parcellaire, j’entrevoie un peu de ce qui va être un quotidien dans quelques temps, et vous comprendrez bien aisément que j’essaye de prendre ici les dernières mesures d’une ascension de plaisir.

Je vous embrasse tous et toutes et vous souhaite une bonne rentrée. Puisse au moins le genre humain faire qu’elle ne sois pas caniculaire !

Fin du douzième mois au Vietnam.

Saturday, August 02, 2003

Descriptions colorées et rimes d'Asie

La vie à bord du sampan (Y. Schultz)

Vie active des sampaniers. Toujours les muscles tendus comme des amarres et les doigts en travail ! En plus de la pêche, c’est l ‘écopage du bateau avec deux coquilles de limules liées par des nœuds de joncs ; le calfatage des joints est minutieusement fait avec de la résine ou de l’écorce d’arbre, en guise d’étoupe trop chère. Enfin, ils peignent mutuellement leurs longs cheveux, car beaucoup de pêcheurs portent encore le chignon et Tho est fier du sien.

Lien, seule femme à bord, a grande besogne chaque jour.

Certes un sampan est un bien petit domaine pour une ménagère mais la cuisson du riz est longue et difficile. Lien y excelle. Dés le matin, accroupie entre les deux roufs, dans un espace grand comme une palme ou tiennent le fourneau, la jarre d’eau douce et des caisses, Lien accroupie, active son feu avec un éventail. On ne dira pas d’elle comme de la plupart des jeunes mariées sans expérience, qu’en dépit d’une bonne marmite, la moitié du riz est crue et l’autre brûlée. Il faut aussi rôtir des espèces d’anchois entre deux lattes de bois de bô, faire sécher sur le toit des roufs des poissons plats et blanc qui, de loin, ont l’air d’un vol de mouettes posées.

On lui apprend à fabriquer de la lignette et de fines cordes de soie pour certaines lignes et, comme elle fait tout habilement, le vieux Thô (le vieux Thô est le beau père de Lien) déclare avec attendrissement « qu’elle a la main fleurie ».

Lien aux jolis doigts, jadis de pourpre et toujours un peu doré par les papiers votifs (avant son mariage, Lien habitait chez son oncle, fabricants d’objets votifs, et l’aidait dans son négoce), a maintenant les ongles bruns, car elle coupe souvent en morceaux une espèce de grosse citrouille rosâtre qui sert à teindre les filets en marron. Point lui soucie. A bord, tout l’intéresse. Cette existence maritime et aventureuse lui plaît.

Ly Dong Than (Mat Gioi)

Pacifique chercheur des subtils problèmes,
Ly Dong Than est assis au seuil de sa maison,
Dans les senteurs de l’air, parmi les chrysanthèmes,
Qu’à son toit le soleil pend en toute saison.

Son esprit connaît, des négateurs extrêmes,
Ni l’orgueilleux plaisir, ni le mortel poison,
Le livre où Laotseu parle de la raison
Lui tient lieu de vertu, de règles et de systèmes.

Il aime seulement son jardin parfumé

Où le cache au regard un rideau de platanes.
Il connaît le silence ; il sait que les arcanes
Veulent la solitude ; et quand il a fumé,

Fier d’être sans désir, heureux d’être sans gloire,
Sa main à l’ongle long, du geste accoutumé,
Prend la tasse de jade, ou le pinceau d’ivoire.

*************

Fin du onzième mois au Vietnam et début de l’avant dernier….

Bonnes vacances et je vous embrasse.

Sunday, April 27, 2003

Ballade du dimanche....

Le Fuy Chang II est ancré dans l’anse de Tham Moeui (littéralement le voyage nouveau), dernier coude de la rivière avant d’apercevoir les grattes ciels du centre d’Ho Chi Minh. Je n’arrive pas bien à savoir quelle est la couche de peinture la plus récente sur sa coque. La rouille, sans doute. Je ne sais pas depuis quand il est à l’ancre a coté du Southern Star sur lequel, par contre, s’affère une armée de dockers en sueur, qui un a un monte les sacs de 80 kilos de riz sur le pont. A la lecture des inscriptions sur les sacs jaunis et déjà usés, j’imagine que celui ci va larguer les amarres vers un port de la corne d’Afrique de l’est ou de l’ouest.

Le port de Saigon se situe à une trentaine de mille de la mer et il faut remonter la rivière du même nom afin d’y faire escale. Cette navigation sinueuse que l’on peut faire sur ces vieux ferries russes à hydrofoil entre les plantations, les mangroves, a un goût d’extrême. On y croise des sampans filant à vivre allure, des navires de commerce venus charger ou décharger leurs cargaisons, des masses végétales flottant entre deux eaux, souvent des rhizomes de nénuphars arrachés des berges par le courant des marées. Grenouilles, grues cendrées, ragondins, rats et mouettes y rythment la vie animale.

L’anse de Tham Moeui est une forêt de grues rouillées, de vieilles amarres et de vieux câbles abandonnés, de navires usés qui ne peuvent plus que naviguer dans des eaux dont la règle unique est qu’il n’y en a pas, de règle. Une fumée épaisse et le sifflement d’une corne annonce le départ d’un de ses voyageurs des mers chaudes. Les bouts encore fait de chanvre pour certains sont usés, les grues en panne, les noms effacés des coques, les ports d’attache oubliés à la poupe. Les marins à bord n’ont pas l’air d’être dans un meilleur état. La peau brûlée par le soleil, les tee-shirts aux inscriptions variées et hétéroclites tachés de sueur et d’huile de moteur, de crasse et de poussière, les yeux bleus et l’expression invariablement souriante cependant. Les langues que l’on parle ici sont encore plus nombreuses que les pavillons qui flottent au dessus des cheminées fumantes.

Les barges en bois à la proue décorée se regroupent, à bâbord et tribord, pour y être vidées de leur cargaison du riz du Delta du Mékong. Les moteurs des sampans pétaradent. Le port devient un marché flottant au gré des arrivées et départs des navires. L’une des rives, du coté des hangars, regroupe les quais et le centre de Saigon. L’autre rive en face sur laquelle je me trouve oscille entre bidon ville et désorganisation. On y accède en prenant un petit ferry rond. J’y suis assis sur ma moto, la chaleur est pesante et humide, les effluves presque poisseuses. Une fourmilière de vietnamiens s’affèrent bruyamment à leur tache, cuisine, réparation, soudure. D’autres regardent les premiers, buvant un café froid, fumant cigarettes sur cigarettes, l’oisiveté pour seule occupation.

L’anse de Tham Moeui en plus d’être un refuge pour bateaux en fin de vie est sans doute l’un des plus grands bordels de Saigon. Quel vision que de voir au milieu de cette cohue toutes ses femmes maquillées, proprettes et souriantes, assises attendant presque patiemment un marin indien, philippin, chinois ou russe qui viendra l’espace de quelques heures ou quelques minutes s’égarer dans les bas fonds d’une ville d’orient. Il n’y a qu’à Amsterdam que les marins chantent encore Monsieur Brel car ici, les bars rivalisent sur la puissance des décibels qui crachent les classiques du rock local ou de la musique fleur bleue vietnamienne.

Ce soir, dans ma petite ruelle, le son d’un piano s’envole d’une fenêtre entrouverte.

Je pense à Michel parti cette semaine sur la frontière Irako koweïtienne et à Chloé avalée hier par le turnover des expatriés auxquels on s’attache…

Je pense très fort à vous tous et vous embrasse.

Fin de ce huitième mois au Vietnam.

Tuesday, March 04, 2003

Du petit étang au petit sillon..

Les contrastes, le retour !

Ne compter pas sur moi, à l’occasion de cette missive mensuelle qui vous est désormais familière, pour vous contraindre à la lecture d’une énième lettre à Monsieur Bush ou à Saddam, de vous saper le moral au moyen d’une analyse de la situation Onusienne, d’un inventaire des playmobiles de Kim Jung Hill, ou de faire cyniquement le constat de l’ultime acuité des analyses de nos politiciens ou des foules de par le monde.
Je dois dire que je ne m’attendais pas à ressentir, sans une once une culpabilité, ce doux sentiment que plus je vieillis et moins j’ai de certitudes et fini même par me demander si ces certitudes ont été remplacées par un soupçon de sérénité - à défaut de sagesse - ou par un cynisme opportun!
Je n’ai hélas pas, et le regrette vous vous en doutez, des talents de guignols, de fanfarons de troubadours (ni même l’âne qui va avec) pour colporter un peu de légèreté instantanée, et vous coller si besoin est des sourires béas.
Alors, comme j’imagine chacun d’entre nous, j’essaie de tracer un sillon pour m’y glisser et faire en sorte qu’il en sorte un peu de positivisme malgré tout. Je ne crois pas qu’il faille culpabiliser à se protéger autant que faire ce peut des atteintes sur soi qu’engendrent ces évènements. Alors laissons certains creuser des tranchées, espérer que d’autres puissent s’y réfugier et creusons chacun notre petit sillon.
J’ai donc commencé mon hibernation de cet hiver planétaire qui pour une fois semble ne pas prendre les couleurs et les douceurs habituelles des saisons occidentales.
Et là encore, il fait plutôt bon sous les latitudes sous lesquelles je vis. J’ai commencé par mettre un peu de ciel bleu et de vert de rizières dans mes journées. Imaginez… Sur une petite moto, circulant tant bien que mal sur de petits chemins de terre entre deux rizières, offrant une palette de verts dans tous ses états, dans lesquelles pataugent quelques femmes protégées du soleil par leur chapeau conique, sous le regard assez indescriptible de quelques buffles noirs, au fond les montagnes du Cambodge affleurant au loin. De là, je n’ai entraperçu l’ombre d’un conflit, d’une épidémie de pneumonie, d’une tension. Tout n’y est que tradition, lenteur, douceur et sourire.
J’y est presque l’impression en y portant ma Croix (la rouge bien sur) que l’on me souriait de l’air de dire : tu t’es perdu petit scarabée, quand le grand serpent en colère crache du feu, tu te dois d’en sentir la chaleur !

Et au détour d’une lecture, je trouve :

« Mais d’abord, qu’est ce que l’Orient ? En principe, une simple expression géographique ; en fait une conception brutale qui scinde l’humanité en deux tronçons, et qui remplace à ce titre la vieille notion hellénique des Barbares. Elle exprime, dans sa rudesse symbolique, l’orgueil satisfait de l’Occident en présence d’un monde entier qu’il englobe dans le même mépris » Sylvain Lévi, 1911.

Fin du 7éme mois au Vietnam. Ici, tout va toujours très bien et j’aime toujours à me rapprocher de cet Orient.

Je vous embrasse

Vincent

Sunday, March 02, 2003

l'humble étang

« Dao-sheng, viens t’asseoir par ici, et parlons un peu. Il est vrai que nous avons rarement eu l’occasion de parler ; mais il semble que dans la précipitation rien d’essentiel n’a été touché. Il y a tant de choses qui restent à dire. Cette vie y suffira-t-elle ? Parlons calmement et lentement, c’est cela. Nous avons attendu si longtemps, nous connaissons la vertu de la patience, n’est ce pas ? Laissons d’abord le vent printanier qui a l’habitude de résorber la pluie sécher nos larmes.
Laissons ensuite le soleil d’été qui fait s’épanouir, réchauffer nos rêves, gelés dans la nuit de l’attente. Sais tu que les vrais trésors sont délicats et cachés, et que le cœur d’une femme est riche et profond comme un jardin ? Pour atteindre la vraie profondeur, il faut suivre des sentiers pleins de méandres ; il faut longer les bosquets riches de secrets. Il y a encore, par-delà les feuillages, l’humble étang, avec des libellules qui l’effleurent, des feuilles de lotus qui l’abritent. Sauras-tu t’asseoir auprès de cet étang, prêter l’oreille à ce qui y murmure, prêter le cœur à ce qui y palpite. Les pétales de fleurs gorgées de rosée, y éclosent en un geste d’accueil ; trop ouverts, ils prennent le risque de se détacher, de se faner. Sauras-tu alors y capter non seulement la beauté qui se montre en surface, mais qui jaillit de la racine, le désir qui ne tarit jamais ? Et puis surtout il y a l’eau transparente qui, apparemment, est peu de chose mais qui contient tout un autre ciel. La lune s’y mire toujours pareille, toujours nouvelle ; les nuages s’y déploient, à l’infini…

François Cheng
L’éternité n’est pas de trop – Editions Albin Michel

J’en entends déjà certains au rictus narquois qui vont me dire que je suis allé effleurer de plus prêt le triangle d’or que la surface du petit étang… ! Je me demande parfois si au delà des quelques problèmes auxquels je dois faire face et des méandres qui donnent quelques reliefs à mon parcours au Vietnam, je ne suis pas en train d’effleurer au détour de quelques ruelles ou allées de Ben Thanh Market, l’immense plaisir d’être un petit peu admis dans cette communauté. De Phan, la petite vendeuse de fruits au coin de la rue qui ne manque pas de me saluer matin et soir d’un geste amical, à Phuong, et son magasin de meubles, Hai et ses journaux qui volent à chaque passage de voiture, Hoa qui distribue les tickets de parking pour les mobylettes au club sportif de la jeunesse, Tam qui tentent en vain de faire vibrer la corde du sentimentalisme de quelques expatriés ventripotents leur proposant d’offrir des roses à leurs compagnes d’un soir, Xuan qui supporte patiemment mes tirades sur l’état de ce monde. Petite galerie de portrait que j’aimerai tant pouvoir partager. Comme je l’ai fait avec ceux qui m’ont rempli de joie en poussant leur parcours jusqu’ici et avec tous ceux avec qui nous aurons l’occasion de s’asseoir au bord de l’humble étang…

Et à ceux qui pensent que mon voisin est un raffineur de pavot, je vais leur concéder que j’y ai en effet bien trouvé une technique de relaxation mais au regret de les décevoir, il ne s’agit que de quelques pressions sur des points d’acuponcture, qu’on appelle aussi Shiatsu.

Votre Balloon favori en tout cas a re-signé non sans plaisir. Il fait bon vivre ici, les programmes avancent bien, utiles je crois. J’espère que la vie vous est douce et que malgré certains méandres, d’aucuns n’oublieront pas l’humble petit étang.

Fin de mon sixième mois au Vietnam.

Je vous embrasse
Vince

PS : Mea culpa pour quelques oublis d’anniversaires et témoignages d’autres grandes réjouissances de vos vies, ils ne sont pas sans pensées chaleureuses.

Thursday, February 06, 2003

Histoire de limules

Jadis, vivait un couple de pauvres pêcheurs. Un jour, le mari partit au large avec ses compagnons. Par malheur, un terrible typhon se leva au moment où les hommes jetèrent leur filet. Personne n'échappa à la catastrophe. La mauvaise nouvelle arriva au village : toutes les familles de pêcheurs en furent cruellement touchées. Les pleurs gagnaient tous les foyers. Quant à la femme, elle ressentit une douleur particulièrement vive. Comme une folle, elle quitta la maison espérant retrouver son mari. Longeant la côte, elle marchait, marchait toujours. Deux jours plus tard, elle arriva devant une haute montagne. Elle l'escalada, puis épuisée, elle s'endormit au pied d'un arbre.

Tout à coup, éclata un bruit assourdissant qui réveilla la femme en sursaut. Elle vit, debout devant elle, un vieillard blanc de cheveux et de barbe qui lui demanda : « qui est tu donc ? Comment oses-tu coucher devant ma demeure ? » La femme répondit en pleurant « je suis à la recherche de mon mari. Je vous prie de me donner de ses nouvelles, car je désespère de le retrouver. » Le vieillard poursuivit : « je suis le Génie des arbres. Ta fidélité envers ton mari me touche. Sache que ton mari est encore vivant, il se traîne sur une île. » Il tendit ensuite à la femme une perle et lui dit : « mets cette perle dans ta bouche et tu pourras voler par dessus la mer pour rejoindre ton mari. Mais n'oublie pas de fermer la bouche et les yeux, car si tu laissais échapper la perle, ta vie serait en danger ! »
Après ces recommandations, le vieillard disparut. La femme mit la perle dans sa bouche et ferma les yeux. Immédiatement, le vent se leva. Elle se sentit légère et entendit le vent souffler à ces oreilles. Quelques instants plus tard, elle sentit ses pieds toucher le sol. Lorsqu'elle rouvrit les yeux, elle se trouvait déjà sur la grève et le vent s'était apaisé. Elle fut heureuse de retrouver son mari accroupi non loin de là. Les deux époux causèrent tendrement, puis parlèrent de retour au village.
Pour retraverser la mer, l'homme tenait sa femme par la taille. La femme était tellement heureuse qu'elle oublia les recommandations du génie et avec la perle dans la bouche elle continua à bavarder. Subitement, la perle jaillit de sa bouche et la femme eut seulement le temps de pousser un cri. Les deux époux furent précipités dans la mer. Ils se changèrent ensuite en limules.
Aujourd'hui, les limules nagent souvent par couples, le mâle tenant toujours la femelle par la taille, comme le fit jadis l'homme, quand il vola par dessus la mer avec sa femme.
De nos jours, on a gardé de cette légende le dicton suivant : « s'aimer comme les limules ».
Nguyen Dong Chi

Vu d'ici, comme très certainement d?ailleurs, la petite planète a été fort bruyante, ces derniers temps. Qu'ils soient instituteurs, ou cheminots, fonctionnaires ou salariés du secteur automobile, les cris ont à nouveau déchirés le doux ronron de nos cités, comme si l?hiver arrivant cela pouvait réchauffer les âmes. Qu?ils soient sidéens ou bien affamés, leurs silences ont eux aussi déchiré les douces comptines de Noël qui arrivent encore et toujours. Qu'ils soient de Galice, ou du Kenya, de Moscou ou de Coté d'Ivoire, ont aurait tant aimé que ces cris n'existent pas. Alors, pour fêter la fin de ce troisième mois au Vietnam marqué par quelques visites monastiques, je me suis dit qu'un peu de silence, de vent et de fluidité seraient les bienvenus. Silence d'un transport sans souffle, ni rythmique, sans fatigue ni mouvement, juste un peu d'imagination. Silence des limules qui hélas disparaissent lentement, sans cris, en silence? 

Ps : Merci encore à tous pour vos petites missives et vos petits colis. C'est juste génial.

Amitiés et grosse bise à toutes et tous
Vinh' Balloon