Camille est assis, le long de la jetée en pierre, adossé, nonchalamment, à une bite d’amarrage rouillée, flanquée d’un anneau qui n’a plus tenu d’amures depuis des âges éloignés d’une autre marine. Les années effleurent les écailles de rouille et les embruns vernissent la corrosion du temps d’une fine couche de sel aux reflets humides, comme le mica des roches qu’on ramasse au gré d’une enfance solitaire. Les pierres, jadis biseautées à la perfection par quelques tailleurs locaux, employés des administrations coloniales, ont des angles aujourd’hui arrondis de l’usure combinée des amarres, du vent, et des ondes marines salés venues d’un autre horizon. Des coquilles que Camille appelle « les chapeaux chinois » jonchent le sol, vestiges de quelques appâts laissés là par des pécheurs venus taquiner les truites de mer qui, par bancs entiers, migrent sous ses latitudes tropicales pour y frayer. D’autres enfants jouent, au loin, sur la plage à l’ombre des cocotiers dont les palmes s’animent de la fraîche brise du soir. L’air emporte avec lui vers le large les senteurs, les effluves sucrés d’une terre de latérite sur laquelle germe la fleur d’exotisme, celle du bout du monde.
Son regard balaye irrégulièrement une ligne horizontale qui s’étend du vieux navire chinois qui décharge ses sacs de riz, de l’autre coté de la rade, vers l’infini horizon. Chaque risée est accompagnée de son regard angevin, chaque oiseau qui s’envole emporte avec lui une promesse que Camille se fait à lui-même. Il sourit de voir les quelques albatros et pélicans s’élancer avec peine dans de grands claquements d’ailes. Il s’inquiète de savoir si ce qu’il leur demande d’emporter au loin n’est pas un poids trop lourd. Mais, s’il doit continuer à projeter ses rêves de futur vers ceux disparus, qu’il pleure parfois, il faut selon les règles du sort qu’il s’est fixé avec tout l’arbitraire d’un enfant qu’il n’est plus, que ces messagers des airs puissent décoller au bout de leur course.
Une raison providentielle le refreine parfois dans ses ardeurs à accumuler ce qu’il analyse déjà comme de futures frustrations ; et si jamais ces rêves se fracassaient contre la ligne d’un quotidien venu s’ériger en rempart de prison des convenances sociales ? Comment pourra t’il, n’ayant qu’une vie à peine commençant, mettre bout à bout ses rêves pour la faire existence. Seul son grand-père avait su vivre deux vies en une, fruit de son instruction, de sa sagesse quand il fermait les yeux, de son esprit libre, inventif et rêveur. Procuration seule accessible aux poètes. Camille s’imprégnait chaque été, pendant les grandes vacances, dans cette banlieue parisienne de ce savoir et de cette philosophie du possible avant de reprendre son avion vers l’été, laissant ici les autres enfants s’enfouir dans l’automne. Il s’était un jour surpris de voir en trait d’union musical le chant des mouettes, qui, au jardin du Luxembourg ou dans ce petit bout de terre perdue entre les tropiques, vole sur une portée unique de deux mondes en partition.
Son regard balaye irrégulièrement une ligne horizontale qui s’étend du vieux navire chinois qui décharge ses sacs de riz, de l’autre coté de la rade, vers l’infini horizon. Chaque risée est accompagnée de son regard angevin, chaque oiseau qui s’envole emporte avec lui une promesse que Camille se fait à lui-même. Il sourit de voir les quelques albatros et pélicans s’élancer avec peine dans de grands claquements d’ailes. Il s’inquiète de savoir si ce qu’il leur demande d’emporter au loin n’est pas un poids trop lourd. Mais, s’il doit continuer à projeter ses rêves de futur vers ceux disparus, qu’il pleure parfois, il faut selon les règles du sort qu’il s’est fixé avec tout l’arbitraire d’un enfant qu’il n’est plus, que ces messagers des airs puissent décoller au bout de leur course.
Une raison providentielle le refreine parfois dans ses ardeurs à accumuler ce qu’il analyse déjà comme de futures frustrations ; et si jamais ces rêves se fracassaient contre la ligne d’un quotidien venu s’ériger en rempart de prison des convenances sociales ? Comment pourra t’il, n’ayant qu’une vie à peine commençant, mettre bout à bout ses rêves pour la faire existence. Seul son grand-père avait su vivre deux vies en une, fruit de son instruction, de sa sagesse quand il fermait les yeux, de son esprit libre, inventif et rêveur. Procuration seule accessible aux poètes. Camille s’imprégnait chaque été, pendant les grandes vacances, dans cette banlieue parisienne de ce savoir et de cette philosophie du possible avant de reprendre son avion vers l’été, laissant ici les autres enfants s’enfouir dans l’automne. Il s’était un jour surpris de voir en trait d’union musical le chant des mouettes, qui, au jardin du Luxembourg ou dans ce petit bout de terre perdue entre les tropiques, vole sur une portée unique de deux mondes en partition.
Camille est debout le long de la jetée en pierre, sa tête au creux d’une de ses mains, le coude sur sa jambe qu’il appuie sur la bitte d’amarrage. Chacun de ses sens se blottit dans les alcôves d’antan, refuge rassurant des souvenirs d’une enfance ici à jamais enfouie. Le vent fait battre son ample pantalon de lin blanc. Son torse nu et bronzé n’a plus que la force du temps passé. Son regard oscille ce soir dans une verticalité infinie, de ces pieds nus aux étoiles naissantes qui scintillent dans la clarté évasive d’un jour qui termine, d’une vie qui s’achève.
Sa vie, elle fut belle ; alternance de départs et retours. Elle l’a fait constamment osciller de part et d’autre de l’horizon de mort qui s’inscrit parfois sur le petit écran vert d’une machine d’hôpital. Que n’a-t-il pas eu au long cours de sa vie si ce n’est ce que tout homme heureux rêverait encore d’avoir ? C’est uniquement face à lui-même, dans l’espace intime de cette solitude aimée ou haïe, offerte à chacun, havre pour peu qu’on consente à l’apprivoiser, qu’il aura parfois foulé de ces pieds l’itinéraire d’un enfant gâté. D’aventure, il ne lui reste plus que celle, introspective, du sens de cette solitude si souvent questionnée au fil d’un parcours admiré qu’il a voulu libre et coloré. Pourquoi n’avait il pas peur d’être seul après avoir tant aimé ?
Camille pleure ce monde devenu schizophrène. Ses yeux rougissent de larmes versées d’une pureté musicale africaine, évanouie d’une voix grave, de rythmes lourds, quelques cordes qui font vibrer son épiderme du même frisson que le vent des alizés. Il aima chacun des sanglots de sa vie.
Ils sont tous là, venus le saluer et lui remettre les gages des promesses accomplies. Albatros et pélicans sont posés en silence, assoupis d’un voyage au-delà des océans, allégés de leur fardeau, libres de leur promesse.
Kaboul, le 24 septembre 2006