Friday, January 02, 2009

Horizons

Quelques jours après l’appontement sur les quais de Seine à Paris de la goélette Tara (www.taraexpeditions.org), revenue de son périple de 5OO jours en arctique, c’est à mon tour de larguer les amarres. Loin des latitudes boréales, ce sont des destinées australes qui me sont cette fois assignées. Si ne remontaient en moi le souvenir des escales de Bernard Moitessier à Cape Town, les survols du Kalahari en avion dans le film d’Eric Valli, les comptoirs portugais de Beira ouverts par Vasco de Gama ou le fabuleux delta de l’Okavango au Botswana, j’irais presque désormais à Harare comme on va partout ailleurs dans ce monde devenu si petit, si global, si miséreux et génial à la fois.

Chacune des fois que j’ai déposé mes bagages dans un nouveau pays, une multitudes de richesses, de primeurs, de surprises ont envahi avec éclat et parfois non sans violence autant mes sens que mon éveil. Et pourtant. Peut être ai je perdu au fil du temps un peu de cette capacité à me laisser gagner et surprendre. Au détour de ce renouveau d’écriture, c’est cependant une profonde sensation que j’aimerais ici faire partager. Celle d’un étonnement candide à découvrir une contrée dont je n’avais que peu entendu parler, sauf à travers quelques soubresauts d’actualité souvent fortement partisane, tronquée et certainement parcellaire.

Ici on ne pose pas la question de savoir d’ou l’on vient à celui qu’on penserait étranger de par son morphotype, car qu’ils soient d’origine indienne, gujarati, irlandaise, danoise, française, anglaise ou grecque, tous ou presque sont Zimbabwéen de nationalité, depuis des générations. L’immense richesse passée et présente de ce pays à bien des égards, et nullement limitée à une richesse productive mais également artistique, linguistique et géopolitique, a contribué à des mouvements migratoires qui ont inscrit un melting-pot à chacun des échelons de la pyramide sociale. Et sans conteste, c’est de cette intelligence collective à savoir vivre ensemble que sont issus cet urbanisme remarquable, cet architecture diversifiée et humaine, ces fonctions régaliennes de l’état, cette éducation omniprésente et un sens artistique créatif et touchant.

A quelques encablures du pont des Invalides, sur les pontons improvisés d’une énième exposition profilant les cris alarmistes d’une nature qui se meurt, les équipiers de Tara scrutent hagards le flot de visiteurs et semblent ivres de tant d’information soudaine alors que, dans le même temps, leurs homologues du Vendée Globe se réjouissent d’une solitude opportune, trouvée dés les coups de canon du départ. Il en va ainsi des viveurs de vies nomades…

Bulawayo est la seconde ville du Zimbabwe située dans le sud, à quelques heures de route du Botswana et de l’Afrique du Sud, et les chutes Victoria, les parcs nationaux de Hwange ou de Matopos, les ruines du Great Zimbabwe fixent au curieux la teneur du décor. Il y aurait tant à dire sur ce pays et tant a déjà été écrit que je ne m’étendrai pas et laisserai cet exercice à ceux qui n’ont pas de devoir de réserve et qui sauront susciter votre curiosité mieux que moi. On ne peut qu’être ému par ce pays et ceux qui y vivent. Et ce que le Zimbabwe est aujourd’hui, je laisse aux Zimbabwéens le soin d’y porter leurs regards.

L’impression la plus frappante, la plus enivrante fut pour l’instant celle de conduire en brousse sous ce ciel bleu et cotonneux à la fois, marquant les violences orageuses des saisons des pluies. Les nuages blancs, en forme d’enclume, s’élèvent à dix ou douze mille pieds d’altitude, parfois plus haut encore et vident leur grisaille au rythme unique et symphonique d’éclairs et de coups de tonnerre magistraux. Ce ciel et ce paysage, qui s’étirent à perte de vue, procurent une sensation d’immensité et de grandiloquence dont j’imagine les équipiers de Tara se sont émus à chaque jour qui naissait en Arctique.

Au fur et à mesure des mes recherches, j’ai trouvé aux alentours quelques points d’altitude desquels je vais parfois regardé le coucher du soleil. J’ai finalement découvert les latitudes ou cet astre paraît immense lorsqu’il touche la ligne d’horizon, comme une fin un peu simpliste d’un cinéma du monde.

Je réalise au gré de mes rencontres qu’à nouveau c’est l’histoire des hommes qu’il serait judicieux de raconter. Non pas celle collective comme la vulgarisent si bien les scientifiques de Tara pour nous sensibiliser sur les enjeux climatiques et leurs interactions sociétales. Non, plutôt celle de ces personnages dont la vie à elle seule force à l’écoute, au respect tellement les horizons sont lointains, les déboires profonds, les succès justes, la fatalité résignée et le plaisir présent. Je n’ai pas achevé cet exercice d’écoute de ce jeune migrant en Mauritanie sur les routes depuis 2 ans, de cette vieille femme se Saigon accroupie devant son palanquin qui murmurait quelques mots de français, de cet employé agricole depuis toujours dans les cultures de thé de Mutare et désormais perdu en lui même, de cet allemand fou subrepticement rencontré à Harper, parcourant le monde sans savoir pourquoi.

Je crois profondément que tous, nomades que nous sommes devenus avec nos outils nomades, aurions à gagner à tendre l’oreille et écarquiller les yeux.

Fin du premier mois au Zimbabwe.
Vincent
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