Sunday, August 17, 2008

On the road again

Les sirènes stridentes hurlent au gré du talent douteux d’un disc jockey local. Les boules multicolores en suspension au plafond tournoient, éclairant la piste de danse d’une lumière diffuse et terne, faute d’avoir été un jour nettoyées des poussières de sable et de sel venues du large qui se sont immiscées à travers les persiennes des fenêtres en ciment. Il y a longtemps que stroboscopes et spots multicolores ne fonctionnent plus. Quelques vieux posters de pin-up et de carrosseries made in US ornent les murs, punaisés entre deux noms des quartiers de Harper, peints au pochoir, en blanc sur fond noir. Le cuir n’est que plastique, le son n’est que bruit, et le divertissement oubli. Les verres à pieds pendus aux étagères du bar sont opaques, faute de client pour une hypothétique bouteille de champagne ou un cocktail à la carte, d’ailleurs, il n’y a pas de carte. La mondialisation version west-africaine a eu raison des créativités locales.

Vêtu d’un tee-shirt Nike, dont les fautes d’orthographes du slogan inscrit sur sa poitrine témoignent de la pâleur d’une copie sortie des bas-fonds de Shanghai ou de Bangkok, les cheveux luisant, le grain de peau pâle et incertain, une bière locale dans une main, une cigarette dans l’autre, il danse. Hors du rythme, il fait face au miroir qui recouvre l’un des murs de la piste de danse de cette boîte de nuit du bout du monde. Des taches de plombs mouchètent la surface lumineuse du miroir et ternissent les reflets des danseurs. Il est seul, juste entouré subrepticement d’une ou deux filles légères qui tentent d’attirer son attention d’un sourire opportun et forcé, d’un geste espiègle. C’est la première fois que je croise ce ressortissant chinois, déraciné, échoué dans ce petit coin du globe que je quitte sans regret.

Le voyage avait à mon esprit naïf le goût suave de l’aventure, la brillance de la dynamique et la tendresse de la découverte. Jusqu’à ce que je rejoigne ici, parfois dans la douleur, ceux pour qui le voyage fut plus intérieur malgré tous les ingrédients d’une carte postale.

Certes, quelques clichés marqueront pour un temps ma mémoire. L’océan aura été un élément constant de mes évasions matinales, berçant également mes nuits à quelques encablures de la maison. J’ai tant de fois cherché un hypothétique réconfort et d’improbables réponses à scruter l’horizon. Cet aigle gypaète à tête blanche qui volait un matin au ras des cocotiers et jouait avec un sac plastic virevoltant au vent à le lâcher et le reprendre entre ses serres. Et cette nuit passée en pleine brousse, la tête dans l’intensité des brillances de la voie lactée, animée d’une multitude de lucioles phosphorescentes à écouter une musique connue, venue à mon secours comme un trait d’union avec l’univers d’un ailleurs réconfortant. Certains virages des pistes de latérites se sont ouverts sur des visions de forêts primaires, sur des spectacles de lumières de sous bois, sur ce sentiment si singulier et entier du voyage au milieu de nul part.

Finalement, mon bateau sera resté à la cape au fil de ces quelques mois paradoxalement mouvementés bien que dans un univers emprunt des calmes du pot au noir situés à quelques latitudes plus au sud. E qu'importe. Toute initiative cognitive ou littéraire sera restée vaine. Mais j’aurai goûté au fruit amère de l’absence, à la richesse du silence, regardé en spectateur les souffrances internes et la mésestime de soi d’autres voyageurs.
Et toucher ainsi du bout du doigt ces limites qui permettent un jour l'expression d’un autre commencement qui est simplement de dire non, ou qui sait, peut être oui.

Fin du douzième et dernier mois de vie à Harper, Libéria.