Sunday, September 24, 2006

à...

Camille est assis, le long de la jetée en pierre, adossé, nonchalamment, à une bite d’amarrage rouillée, flanquée d’un anneau qui n’a plus tenu d’amures depuis des âges éloignés d’une autre marine. Les années effleurent les écailles de rouille et les embruns vernissent la corrosion du temps d’une fine couche de sel aux reflets humides, comme le mica des roches qu’on ramasse au gré d’une enfance solitaire. Les pierres, jadis biseautées à la perfection par quelques tailleurs locaux, employés des administrations coloniales, ont des angles aujourd’hui arrondis de l’usure combinée des amarres, du vent, et des ondes marines salés venues d’un autre horizon. Des coquilles que Camille appelle « les chapeaux chinois » jonchent le sol, vestiges de quelques appâts laissés là par des pécheurs venus taquiner les truites de mer qui, par bancs entiers, migrent sous ses latitudes tropicales pour y frayer. D’autres enfants jouent, au loin, sur la plage à l’ombre des cocotiers dont les palmes s’animent de la fraîche brise du soir. L’air emporte avec lui vers le large les senteurs, les effluves sucrés d’une terre de latérite sur laquelle germe la fleur d’exotisme, celle du bout du monde.
Son regard balaye irrégulièrement une ligne horizontale qui s’étend du vieux navire chinois qui décharge ses sacs de riz, de l’autre coté de la rade, vers l’infini horizon. Chaque risée est accompagnée de son regard angevin, chaque oiseau qui s’envole emporte avec lui une promesse que Camille se fait à lui-même. Il sourit de voir les quelques albatros et pélicans s’élancer avec peine dans de grands claquements d’ailes. Il s’inquiète de savoir si ce qu’il leur demande d’emporter au loin n’est pas un poids trop lourd. Mais, s’il doit continuer à projeter ses rêves de futur vers ceux disparus, qu’il pleure parfois, il faut selon les règles du sort qu’il s’est fixé avec tout l’arbitraire d’un enfant qu’il n’est plus, que ces messagers des airs puissent décoller au bout de leur course.
Une raison providentielle le refreine parfois dans ses ardeurs à accumuler ce qu’il analyse déjà comme de futures frustrations ; et si jamais ces rêves se fracassaient contre la ligne d’un quotidien venu s’ériger en rempart de prison des convenances sociales ? Comment pourra t’il, n’ayant qu’une vie à peine commençant, mettre bout à bout ses rêves pour la faire existence. Seul son grand-père avait su vivre deux vies en une, fruit de son instruction, de sa sagesse quand il fermait les yeux, de son esprit libre, inventif et rêveur. Procuration seule accessible aux poètes. Camille s’imprégnait chaque été, pendant les grandes vacances, dans cette banlieue parisienne de ce savoir et de cette philosophie du possible avant de reprendre son avion vers l’été, laissant ici les autres enfants s’enfouir dans l’automne. Il s’était un jour surpris de voir en trait d’union musical le chant des mouettes, qui, au jardin du Luxembourg ou dans ce petit bout de terre perdue entre les tropiques, vole sur une portée unique de deux mondes en partition.



Camille est debout le long de la jetée en pierre, sa tête au creux d’une de ses mains, le coude sur sa jambe qu’il appuie sur la bitte d’amarrage. Chacun de ses sens se blottit dans les alcôves d’antan, refuge rassurant des souvenirs d’une enfance ici à jamais enfouie. Le vent fait battre son ample pantalon de lin blanc. Son torse nu et bronzé n’a plus que la force du temps passé. Son regard oscille ce soir dans une verticalité infinie, de ces pieds nus aux étoiles naissantes qui scintillent dans la clarté évasive d’un jour qui termine, d’une vie qui s’achève.
Sa vie, elle fut belle ; alternance de départs et retours. Elle l’a fait constamment osciller de part et d’autre de l’horizon de mort qui s’inscrit parfois sur le petit écran vert d’une machine d’hôpital. Que n’a-t-il pas eu au long cours de sa vie si ce n’est ce que tout homme heureux rêverait encore d’avoir ? C’est uniquement face à lui-même, dans l’espace intime de cette solitude aimée ou haïe, offerte à chacun, havre pour peu qu’on consente à l’apprivoiser, qu’il aura parfois foulé de ces pieds l’itinéraire d’un enfant gâté. D’aventure, il ne lui reste plus que celle, introspective, du sens de cette solitude si souvent questionnée au fil d’un parcours admiré qu’il a voulu libre et coloré. Pourquoi n’avait il pas peur d’être seul après avoir tant aimé ?
Camille pleure ce monde devenu schizophrène. Ses yeux rougissent de larmes versées d’une pureté musicale africaine, évanouie d’une voix grave, de rythmes lourds, quelques cordes qui font vibrer son épiderme du même frisson que le vent des alizés. Il aima chacun des sanglots de sa vie.


Ils sont tous là, venus le saluer et lui remettre les gages des promesses accomplies. Albatros et pélicans sont posés en silence, assoupis d’un voyage au-delà des océans, allégés de leur fardeau, libres de leur promesse.




Kaboul, le 24 septembre 2006

Saturday, September 09, 2006

Sur une route menant aux Indes

Au loin, perçant la couverture de nuages blancs, défilent les cimes éternellement enneigées du Cachemire, étincelantes sous les lumières d’un soleil, à cette altitude perpétuel. A la façon d’un Gulliver, je fais ce matin un pas de géant entre deux parties de cette Asie qui n’en finit pas de violer mes sens, m’autorisant même à flirter avec le bonheur du voyage.
Le voyage a ses icônes : la rose des vents, le carnet et son stylo, les tropiques, le tampon d’un passeport, les images jaunies d’un autre temps, les points cardinaux, les hémisphères. Et je redécouvre à nouveau ce monde immense qui se cache derrière un visa éphémère.
Merci à toi, mon ami Tèje, le voyageur, pour avoir bien voulu me prendre par la main pour faire que ces premiers pas au pays de Gandy soit une ballade dont la richesse a apaisé l’ensemble des frustrations que l’on peu connaître ici, à Kaboul.
Il y a sans conteste des différences fondamentales entre le touriste et le voyageur. Non pas qu’un mode de vie domine l’autre ou ait plus de noblesse, non. Les parcours sont différents, les appréhensions le sont également, les tempos du temps qui bercent le touriste et le voyageur ne sont juste pas ceux d’une même musique.
Se perdre dans le vieux New Delhi, au hasard des ruelles étroites, jouer des contrastes, ne voir les choses qu’avec parcimonie parce qu’on a le temps d’y revenir. Le temps dans cette ville se construit comme le travelling d’un cinéaste qui n’aurait ni début ni fin. Pas même les limites d’un jour rythmé des mouvements solaires. Chaque segment de trottoir, chaque carrefour, chaque entrée de maison sur lequel mon œil s’est fixé furent animés du passage incessant de personnages colorés, de regards envolés. La vie est dans la rue, la rue est la vie. Et c’est des senteurs que j’hume, des ombres qui se faufilent, des cris et des paroles qui animent la vie de la rue que j’arrive humblement à entrapercevoir le rythme fondamental et premier des habitants de New Delhi.
Dans le temple d’Hauz Kaz, de jeunes couples volent aux carcans socio-éducatifs et autres traditions le droit de se tenir par la main. Le palefrenier de Deshbandhu Gupta road brosse ses attelages de chevaux blancs qui seront utilisés pour transporter les mariés du week end. Au nord du quartier de Sadar, quelques habitants ont élus domicile dans un cimetière, les enfants y rient, les vieux y boivent le thé et même les différences linguistiques disparaissent derrière les sourires échangés. Moments choisis d’une déambulation de dandy voyageurs qui valent tout autant un magnifique film de Bollywood, une après midi de shopping à Connaught place, un Gin Tonic à L’impérial ou un voyage dans le temps au National Muséum. Contrastes. Essais. Peut être.
Les yeux noyés d’images, l’esprit ivre de questions sans réponse, ces éléments fusionnent en moi dans une sérénité nouvelle. Rien ne sert de courir ici car c’est la position stoïque et contemplative qui fait sens. Un séjour se raconte, pas un voyage. N’est ce pas pour cela que les Moitessier, Loti, de Monfreid et autre Bouvier ont généré chacun une génération de voyageurs?

New Delhi a les scintillements d’une porte décorée, dont le foisonnement des couleurs me laissent perplexe sur la capacité humaine un jour à en trouver de nouvelles. Et pousser cette porte, c’est sûrement laisser ce pays et ses habitants arborer les parures d’une histoire ancestrale et s’y laisser conquérir. Puissent les hommes savoir assembler leurs différences comme seules les odeurs et les couleurs savent le faire pour vivre ensemble.
Et c’est sûrement là, derrière cette porte que se rejoignent le touriste et le voyageur : ils sont mus d’une quête différente mais, cependant, tout deux ne peuvent que lever la tête vers le ciel, à la façon d’un enfant qui regarde le ciel, et constater l’immensité du monde. C’est pour cela qu’il faut une autre vie.

Fin du deuxième mois à Kaboul, Afghanistan. Tout va bien.

Amitiés
Vincent

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