Il pleut sur Nouakchott.
Un rapide coup d’œil sur un atlas et je vous entends déjà me dire: quoi de très surprenant à cette période là de l’année, sous ces latitudes proche des tropiques, à une saison que l’on nomme quelque soit la langue locale usitée « la saison des pluies » ou plus joliment l’hivernage ? Certes, mes amis, la capitale de ce pays aride connaît en ce moment quelques précipitations éparses. Et si encore c’était l’intensité surprenante des orages ; à l’image de ceux qui m’ont tant fait aimé Saigon certains soirs sur les toits, ou bien chevauchant ma mobylette ou alors me baignant dans une piscine sous la lumière des éclairs. Il n’en est rien.
Il pleut même des dattes cette année en abondance, dans les oasis, à l’intérieur du pays - c’est la raison pour laquelle cette parenthèse estivale nommée aussi la Guettna, temps de la récolte des dattes, donne des airs de pèlerins aux broussards mauritaniens qui migrent sous les tentes installées entre deux dunes inondées de vents frais quand tombe la nuit.
Les vents de sable chaud venus de Libye ou du sud algérien déposent bien une fine couche de poussière d’or mais cela n’est seulement qu’un crachin d’un genre particulier.
Mais non. Ce n’est aujourd’hui ni l’une ni l’autre de ces intempéries.
Cette pluie là ne s’est pas annoncée. Quoi que… Ce matin là, un souffle d’air brûlant, irradiant presque la peau, sous un ciel d’une couleur sable éblouissante faisait prédire quelques broussards l’arrivée de ce qui fut jadis qualifiée de plaie dans l’Egypte antique.
Des nuages noirs dans un ciel blanc. Il ne manque qu’une symphonie de Bach ! Les criquets.
Telle une armée en rangs serrés, ces fantassins d’une bataille qui leur est inexorablement acquise progressent de branche en branche, d’arbre en arbre, de quartiers en quartiers, dans un bruits sourds et kafkaïen de pluie de feuilles, de branches qui tombent sous le poids des essaims, de mâchoires qui coupent et broient tout ce qui est vert et tendre.
Les questions alors s’enchaînent : quand vont ils partir, que va t’il rester d’une végétation déjà éparse….et mon jardin !! Moi qui avais visité quelques dizaines de maisons avant de porter mon choix sur celle-ci justement à cause des arbres et des plantes qui y poussent et procure une ombre, havre de fraîcheur par ces températures caniculaires ! Et toutes mes tentatives grotesques et risibles de les y empêcher auront été vaines !
Et bien il n’en reste presque plus rien. Quelques basses branches ont échappé à l’appétit dévastateur et aveugle de ces petites bêtes qualifiées – non sans ironie – de pèlerins. Mais c’est bien tout…
Que dire très vraisemblablement des cultures…
Et Dame nature encore plus surprenante a recouvert depuis la mer et les plages d’une couche de 10 à 20 centimètres de criquets morts, comme pris au piège d’un péché de gourmandise, prochaine et ultime étape du chemin de croix animalier, celle-ci fatale. Encore un mystère que cette fin étrange d’une partie de la colonie qui le ventre plein finit, là, sans explication. Aussi mystérieuse que la mort de dizaines de dauphins et tortues venus s’échouer le mois dernier sur cette même plage.
Ces deux jours d’invasion m’ont confirmé, avec un léger soupçon de traumatisme version Hitchcock, qu’il y avait encore bien des découvertes même macabres à vivre sur cette petite planète et bien des désastres dont je n’imaginais pas l’ampleur ; et que ma vie n’est encore que celle d’un jeune puceau qui commence à peine à éclore au gré de quelques voyages à aller glaner des bribes de ressenti et de vécu dans des pays et des situations teintés d’exotisme.
Autre sujet, autre fléau… j’ai depuis quelques mois pris, avec d’autres, le bâton de pèlerin – décidément ! - du traitement des malades du Sida en Mauritanie. Ce passage de la prévention au traitement m’a jeté à la face les réalités tragiques des malades, de cette maladie, d’un système de soins sidérant, de la lutte, de l’Afrique… Rencontre avec moi même, avec des hommes et des femmes, avec les visages admirablement souriants, forts et courageux de la maladie.
Mais de rencontres je ne retiendrais ici que trois merveilles que la vie m’a offertes comme un cadeau unique depuis quelques mois et dans lesquelles j’ai eu la chance de pouvoir puiser le meilleur du partage, de l’humanisme, de la camaraderie et je crois sincèrement de l’amitié. Trois mecs de grande classe, comme leur acharnement à faire ce qu’ils font, comme les projets dont ils sont animés et qui me font penser qu’à coté d’eux et de vous, bien des intempéries de toute nature peuvent encore passer, la vie se promet aussi d’être douce.
Salut Jean Jacques, bon alizé caribéen – que j’espère tant naviguer ensemble ! Tu me manques !
Bonne suite de voyage marocain à Tèje et bonnes vacances à Antonio, revenez moi vite !
Fin de mon 10ème mois à Nouakchott.
Je pense à vous.
Amitiés
Vincent