Il souffle sur Nouakchott un vent estival universel qui pousse les enfants hors des cours de récréation, les adultes sur les routes de leurs villégiatures de toile, le soleil à son zénith. Fidèles à ce qu’ils sont depuis la nuit d’un temps ancien, une partie des mauritaniens, broussard dans l’esprit, ses coutumes, sa vie tout simplement, va transhumer vers les oasis pour être prêt à temps pour la récolte des dattes. Le pas du matin se fait buissonnier, nonchalant.
Une frange du monde se prépare à mettre entre parenthèses un peu de son passé, quelques réalités constantes d’un futur proche pour vivre un présent délassant, en vacances d’une actualité meurtrie. A quoi bon remettre sur le devant de nos velléités quelque résolution, quelque objectif qui souvent égrainent, au fil des mois qui passent, leur lot de culpabilités sociales. L’été n’aurait il pas aussi été conçu pour être en vacances de nous même, à la marge de nos obligations ? Pour réaliser cet exercice d’équilibrisme de prendre du temps pour soi en s’intéressant aux autres ? Curiosité de la nature et du temps que ces mois soient également ceux des premières vendanges et des moissons, que les greniers de nos âmes se remplissent, tels les silos, de vigueur, de force, de positivisme. Enfilons donc nos panoplies de vagabonds…
Flânant chez un libraire continental fort bien achalandé, je croise sur une couverture le regard atemporel d’un homme qui me donna parmi les plus belles pages littéraires qu’il m’ait été donné de lire. Récits d’un homme aux exploits maritimes, né aux temps des colonies que je ne regrette, que par ce qu’elles marquaient les passeports – et surtout les existences - d’un « né à Saigon », Port aux Français, La Goulette ou Alger. Et je partage au fil des pages le récit de femmes et d’hommes narrant leur rencontre et leurs échanges parfois simplement épistolaires avec cet homme. Il n’y a de paradoxe entre le souvenir si vivant de Bernard Moitessier et son bateau qui n’a plus de sillage, car sa mémoire est active, créatrice, marquante et tranche telle l’étrave dans la vague bon nombre de mélancolies.
Savoir sans donner de leçons, connaître par l’essai, croire en une utopie parce qu’elle est juste. Ni guru, ni mentor, simple philosophe contemporain car il était aussi de ce monde, témoin parmi d’autres mais au récit singulièrement unique. Et d’une croyance en l’empirique, il baptisa son dernier bateau « Tamata » qui veut dire « essayer » en polynésien.
« Le chercheur de Vérité rencontre toujours un Maître sur son chemin. Il en reçoit l’enseignement et s’en va au bout d’un temps pour creuser dans la solitude, sûr d’atteindre la Vérité. Puis le doute arrive avec la fatigue et il cherche un nouveau Maître qui l’éclairera davantage. Ainsi de suite jusqu’au jour ou il comprend enfin que l’enseignement du Maître se limite à la pelle qui sert à creuser.
Car le Maître ne peut enseigner que sa propre technique pour fabriquer l’outil. C’est le chercheur de Vérité qui devra le faire, adapté à sa main qui est unique au monde. Certains auront besoin d’une pelle étroite et bien pointue. D’autres la voudront large et arrondie, un peu plate ou très creuse. Le manche aura toutes les formes possibles, court, long, mince, gros, en bois souple ou en bois raide, droit ou légèrement cintré vers le haut ou vers le bas. Cela dépend de chacun et nulle pelle ne sera tout à fait comme une autre.
Mais de toute manière, chacun est seul pour creuser. Et la forme de la pelle a bien moins d’importance que la Pensée, la sueur et la foi avec lesquelles chacun de nous fera son trou pour y chercher la Vérité. »
Bernard Moitessier – Tamata et l’Alliance.
Avant tout la certitude qu’il n’y a pas de modèle ni d’exemple à suivre, seulement des voies à découvrir soi même et à « faire découvrir aux autres », et cela, Bernard l’a fait mieux que quiquonque concluait un compagnon de vagabondage quelque part sur une mer.
Fin du 7éme mois à Nouakchott.
Et je ne pourrais conclure sans éclairer « le projet » de Bernard Moitessier qui avait cette clarté ultime de n’être pas un projet mais l’essence même d’une quête de soi porté au firmament de la Vérité, trouvée au gré de la communion d’une vie avec la mer et les hommes.
Je pense à vous.
Amitiés
Vincent