Tuesday, April 20, 2004

Sous le ciel de Chinguetti

Aucun des interstices de la porte et des volets en bois de ma chambre ne laisse traverser la lumière et pour cause puisque seules les étoiles brillent et scintillent dans le ciel de Chinguetti ce matin.
La lune décroît, jour après jour, et flâne chaque matin dans le ciel, comme si ces brèves rencontres matinales avec le soleil laissaient place à quelques échanges langoureux entre ces deux astres. Partage d’un espace, de l’espace et du temps.
Seuls les chants religieux des Imams appelant les fidèles à la prière ont interrompu mon sommeil. Je m’y suis désormais habitué et j’aime ces intermittences du somme. Je rassemble mes affaires et referme la porte bleue de ce havre située sur les remparts de l’auberge des caravanes, offrant une vue lointaine et dégagée sur la mer de sable et sur l’oued entre la vieille ville et les nouveaux quartiers.
Chinguetti est un petit village aux maisons basses, aux portes du désert, dont l’absence de raccordement au réseau électrique lui apporte la richesse sereine d’un vrai silence et offre généreusement à ses visiteurs et ses habitants la perception rare de la pureté des sons. J’aime à imaginer ce qu’était cette cité située sur le long chemin des pèlerinages à la Mecque et qui, comme tout carrefour des routes religieuses et commerciales, a figé l’espace d’un temps perdu la richesse, la connaissance, la mixité et l’échange.
Déjà se pressent, à la faveur d’une température clémente, charrettes, ânes et dromadaires guidés par des hommes aux boubous bleus ou blancs flottant au vent, qui à cette heure esquissent les ombres d’un jour naissant. Quelques coqs anticipent les premiers rayons du soleil pour réveiller les âmes endormies, les ânes hennissent, les chèvres bêlent.

Arbi est déjà levé ce matin. Il a plié son paquetage, fait sa prière.
Sidi, lui, jeune homme fait de bonté et de calme, apparaît la tête enturbannée. Image d’un homme tel que j’imagine ceux qui de tout temps arpentent le désert, du sable, de la torpeur, de l’eau rare, du thé, des caravanes. Quelques poignées de mains chaleureuses et encourageantes, il nous remet un paquet de sucre blanc, un sachet de menthe fraîche.
Après une courte prière à demi voix, Arbi démarre et nous prenons ce matin la route de Nouakchott. Fin de quelques jours de repos, parcourus d’instants de fraîcheur dans des oasis à croquer des carottes à la saveur subtile, à jouer au jeu local de dames, à visiter l’Histoire de l’homme, peinte il y a des milliers d’années sur des rochers au milieu de nul part, à boire le thé, des heures durant, et parler de tout et de rien, à visiter quelques bibliothèques privées gardant tant bien que mal les trésors des écrits anciens des époques glorieuses de l’Islam.
Après quelques kilomètres vers l’ouest d’une piste récemment damée, je ne regarde plus que dans mon rétroviseur pour voir le ciel nous offrir ses plus beaux auspices et chaque rocher se teinter de couleurs magiques sur la palette d’un peintre fou.
Tout deux, nous avons déjà en tête depuis quelques jours de ne pas descendre par la route goudronnée construite il y a quelques années mais de tenter d’emprunter l’ancienne voie qui conduisit des générations de caravanes et les premières automobiles d’Atar à Chinguetti et dont le nom raisonne en moi depuis les premiers rallyes qui franchirent ces hauts plateaux quand j’étais enfant.
L’exercice n’est pas simple car cette piste n’est plus entretenue et nous pouvons être amenés à rebrousser chemin s’il est obstrué par des pierres. Arbi semble confiant depuis que le gardien solitaire et sage des peintures rupestres que nous avons visité non loin lui a affirmé avoir vu deux véhicules la franchir quelques jours auparavant. Il ne ment pas. Il est pieux.
L’ouverture de cette parenthèse inouïe qui suspend le temps débute dans les décors cinématographiques de Fort Saganne, aujourd’hui en ruine mais hier…
La voiture franchie lentement et parfois chaotiquement les rochers et entame une longue descente dans un canyon escarpé, dont l ‘étroitesse laisse place au détour d’un virage à une plaine fleuretant avec l’horizon des cols, des falaises. Par les vitres ouvertes, pénètrent les bruits parfois inquiétants des pneus se déformant sous la contrainte des pierres anguleuses, et des chocs entre quelques rochers plus affleurant avec les bas de caisse de la voiture. Il nous faut vérifier parfois que l’étroitesse du chemin nous permet bien de franchir ces obstacles.
Dans le froid du matin, défilent lentement le travelling d’un décor sans égal. L’âme des nomades, le courage des bâtisseurs, la fougue sportive des pilotes rivalisent de pouvoirs suggestifs.
Une fois libérée du joug de ces falaises et de la lenteur imposée à notre convoi, nous croisons quelques bergers comme échoués là mais sûrement pas sans raison.
Peu de mots sont échangés et Arbi m’impose le sentiment que ce spectacle est aussi pour lui un émerveillement bien qu’il l’est déjà franchi si souvent de part le passé. Nous nous arrêtons, une fois les difficultés désormais derrière, pour boire le thé à l’abri de rochers, refuges rares et providentiels.
Arbi ne peux s’empêcher de sourire lorsque nous nous apercevons qu’il y a, à nos pieds, les traces d’une présence humaine… celle de l’époque ou les haches de pierre s’aiguisaient sur les rochers ! Des bi-faces, les stigmates d’une présence ancienne.
Trois verres de thé sont bus, patiemment fruits d’un cérémonial de préparation méthodique. Je n’ai pas encore percé le mystère de la signification exacte de cette tradition presque rituelle. Le premier verre serait amer comme la vie, le second doux comme l’amour, le troisième suave comme la mort. La multitude de versions différentes que les mauritaniens m’ont rapportée, ne serait-ce pas là l’expression de l’exercice de synthèse simple et pourtant si souvent vain que nous recherchons tous ?
Nous ne pouvons hélas pas nous attarder dans ce dédale de cirques, de plaines, de falaises car la route est encore longue et quittons en silence ce sanctuaire qui faute d’entretien sera amené à disparaître, faute d’être praticable.
Le souvenir de la passe d’Amogjâr lui restera.

J’engrange humblement ces lumières, ces espaces, ces silences, ces partages pour tenter que les départs soient moins déchirants, les séparations guérissables, les choix pensés, l’éloignement supportable, l’isolement créatif.

Fin du sixième mois en Mauritanie


Je pense à vous

Et pour poursuivre la série d’éclairages des projets qui me nourrissent d’admiration tant ils sont l’expression d’une passion qui va si bien à ceux qui la vivent je vous recommande sans modération de passer par la galerie de Xavier, rue des St pères, au numéro 16, cour intérieure. Autre havre sans aucun doute.

Vincent