Je reviens ce soir là dans la petite ville de Moc Hoa pour y dormir avec l’équipe. De ces petites villes aux routes terreuses, aux ruelles animées, aux senteurs écoeurantes. Nous dînons. Il est 17.30. J’ai un peu de mal avec le poisson chat alors mes camarades discrètement me commandent quelques tranches de bœuf. Ensuite, Je prend un verre avant d’aller me coucher et parle, ouvertement, avec mon field officer et les propriétaires des quelques tabourets en plastiques sur le trottoir que l’on appelle un bar…et qui ce soir se trouve entre flaques d’eau et flaques de boue à cause des pluies torrentielles de la soirée. Quelques discussions sur les habitudes des jeunes, scotchés de l’autre coté de la rue, regardant ébahis soit le programme de variétés vietnamiennes qui ferait pâlir Maritie et Gilbert Carpentier, soit des jeux en réseau, qui n’ont de réseau que les trois vieilles machines taiwanaises ternies par le temps.
L’hôtel est un de ces hôtels que l’ont trouve partout. Ce sont des hôtels publics affichant rarement plus de 10 dollars la nuitée. Celui ci, avec tout le bon vouloir du monde, n’aurait pas pu raisonnablement afficher plus!
Je partage ma chambre avec deux chauves souris qui tout au long de la nuit rythme mon sommeil de petits cris. Fatigué par une journée en plein soleil à visiter certaines parties du Mékong, je tombe de sommeil et je trouve que 21 heures est une bonne heure pour me tourner vers Morphée, en espérant que les variétés hurlantes de l’autre coté de la rue se finissent rapidement. Je m’allonge donc sur des draps douteux après un rapide inventaire de la ménagerie qui partage, gratuitement mon espace de repos.
Je m’endors.
Le téléphone sonne. Un peu étonné et dans les vapeurs d’un sommeil perturbé à plusieurs reprises par des éclairs et le bruit (je ne crois pas pouvoir en qualifier la force !) du tonnerre, je regarde l’heure : 2.46 est affiché sur le cadran lumineux de mon téléphone qui sonne et vibre à en déranger mes chauves souris. Je décroche. Le son est absolument étonnant de clarté et j’ai l’impression que ce que j’entends est proche, mais ce n’est pas une voix ou plutôt si. C’est Prince. Ni celui des biscuits chocolatés qui chevauche un canasson, ni Reignier à qui vous pouvez dire qu’il est désormais rangé au rang de ceux pour qui le dernier souffle de mon intérêt, déjà éventuel, a été émis, ni celui qui attend connement la mort de son père, le roi des Cons, non Prince.
L’extravagant, le chanteur planétaire. Il me chante à moi Purple Rain et avec lui des milliers de fans que j’imagine se cramer les doigts avec leur briquets pour certains, ou avoir des chaleurs adolescentes au son des accords si parfaits et entraînants pour d’autres. Je ne comprends pas. Comment ce téléphone, au demeurant si simple de nos jours, bien de consommation à usage banal, me permet cette télé transportation.
Oubliant ce vague esprit cartésien qui si il avait été réel chez moi m’aurait conduit en terminal C et pas D, et donc pas aux études de Droit, je profite de ce moment. Je rêve. Je suis quelque part dans le monde en train d’assister au concert de Prince. Je vois des lumières éblouissantes, un petit homme dans son costume de paillettes signé JP Gautier qui court de part et d’autre de la scène, qui va chercher la corde vocale inatteignable pour la simple satisfaction des milliers de fans qui l’écoutent, statiques comme d’autre le sont devant des variétés vietnamiennes qui sont à la chanson ce que KFC est à la volaille. J’en esquisse presque des sons et les poils de ma peau se dressent comme ceux de ces adolescents en croisant le regards de leurs voisines ou voisins à la lumière Bic, sauf que moi ma voisine s’appelle solitude; dans un des ces endroits du monde dont je vous éviterais le qualificatif car j’ai quand mêm fait des études de Droit... Dans un dernier souffle de voix fusionnant avec la dernière note de la guitare électrique la chanson se termine, c’était la version longue en plus ! Les hurlements, les applaudissements rivalisent avec les coups de foudre qui s’éloignent vers le Cambodge et j’en ai presque peur de réveiller les voisins qui dorment de l’autre coté de la cloison fabriquée en papier de cigarette OCB. Et tout ému par ce que je viens d’entendre, je presse le bouton off de mon téléphone et me rallonge. Content. Me disant presque : « quel bon concert que ce Prince au Palais Omnisport de Paris Bercy » et m’imaginant presque aller prendre la ligne Boulogne Gare d’Austerlitz pour repartir chez moi. Je me réveille. Il est 5.30 heures du matin et les appels patriotiques dictés par une voix féminine, sortant des hauts parleurs publics dans la rue, hurlent les bons conseils de la journée pour les camarades. Je ne rêve pas.
Merci mon Ami tonton Feron, pour m’avoir offert de Paris ces minutes inoubliables.
Merci aussi à tous ceux qui ont bien voulu m’envoyer des petits messages qui je vous l’assure font autant plaisir que les lettres que nous recevions jadis de nos nouveaux ami(e)s de l’été passé, dans nos boîtes aux lettres, après la rentrée de septembre. Même si les réponses sont un peu longues à venir et je m’en excuse, elles vont arriver je le promets.
Deuxième mois dans ce pays.
Je pense fort à vous tous.
Amitiés