Je suis assis sur un vieux siège bancal à la vigie du soulier numéro 19, 129éme wagon du train de 12h30 qui relie Zouerate à Nouadhibou. Un des trois trains quotidiens.
Zouerate une citée minière perdue en plein désert, une île. Nouadhibou un port, souvent l’avant dernière étape pour des hommes qui regardent le nord comme on aspire à une dernière chance.
Le vent frais souffle d’un hublot à un autre. La lumière est blanche dans ce désert de sable et le soleil au zénith est éblouissant. Devant moi, 16 000 tonnes de minerais de fer marient une poussière rouge au sable blanc soulevé par les 450 essieux des wagonnets. Tous siestent après la prière et le thé, je suis seul.
A l’aller, 210 wagons, plus de deux kilomètres de long, le plus long, le pari insensé d’hommes fous et audacieux… Tout ici est gigantesque, démesuré et simplement beau. Des dunes, aux camions, des montagnes de fer à l’accueil qui m’y est fait, quelques merveilles réunies de cette aventure qui dure.
Qu’il est loin le souvenir même récent du confort des trains français. A chaque accélération ou ralentissement, le convois subie une onde de choc incroyable qui peut si vous n’être pas correctement cramponné vous propulser à plusieurs mètres dans le wagon. Les roues crissent, ce long ruban tangue et roule au gré des imperfections et des méandres des deux brins d’aciers qui le supporte.
La vigie surplombe l’ensemble du train et est située sur un petit wagon de la taille d’un conteneur qui offre un confort tout relatif aux personnes de la société minière quand ils doivent se rendre du port à la mine. Comme à la passerelle d’un navire, on voit à des kilomètres à la ronde les massifs noirs isolés, filon de minerais de fer ou d’or, objets de toutes les convoitises et attentions prospectives. Sept cent kilomètres de voies, 20 heures de voyages et pour seule animation quelques bribes de conversations VHF inaudibles entre les conducteurs et les employés qui vivent sur quelques bases de vie réparties tous les cent kilomètres de ce fil d’ariane.
Le convoi se meut à 40 kilomètres par heures mais à de nombreux endroits est contraint au ralentissement pour cause de travaux, de dunes mouvantes qui ont recouvert en quelques heures la voie ou bien de malade à évacuer vers l’hôpital le plus proche !
Ou quand la notion de proximité s’est apparentée avec celle du temps suspendu…
Nous venons de passer une base de vie, kilomètre 569. Quelques palmiers sous perfusion des wagons d’eau amenés une fois par mois de la source qui se trouvent à des centaines de kilomètres. Quelques maisons basses, fouettées par les vents. Toutes ceux qui y vivent sont de près ou de loin des employés de la société minière, salariés ou appelés pudiquement journaliers, en charge de la sécurité du train. Celui-ci ne s’arrêtent pas mais continue un peu plus doucement sa route et tous s’affèrent à observer si un essieux n’est pas bloqué, et si les sabots d’accrochage tiennent le coup sous les chocs qu’ils endurent, si un patin de frein n’est pas rester en contact avec une roue. L’inertie et la taille démesurée de ce train ne permettent pas au pilote de se rendre compte d’une telle panne. Pas de problème mécanique nous continuons. Un petit paquet est furtivement jeté par la fenêtre, du courrier.
A la sortie de la base est garé un petit train de couleur, une micheline et deux wagons qui baladent dans ces immensités quelques touristes venus chercher quelque chose de différent, de pas pareil !
J’aime cet espace de temps qui à l’instar de ce que l’on peut ressentir en bateaux, vous isole de toute vie extérieure. Nous sommes en milieu de journée et l’arrivée est pour demain, et elle sera quand elle sera au gré des pannes, des imprévus, de ce que la nature a aussi décidé. Seul mon ordinateur portable sera dans quelques heures une source de divertissements quand la nuit sera venue, que les quelques passagers et convoyeurs se seront endormis.
Au loin, j’aperçois quelques tentes blanches de nomades. Ils doivent être les bergers de quelques ânes, moutons et dromadaires qui paissent ce que les criquets ont bien voulu laisser de leur festin des mois passés. Là, prend plus qu’ailleurs la vraie signification de peuple couché, image attribuée à un anthropologue du début du siècle pour qualifier sa vision des peuples nomades qui habitent le désert. Comment pourrait il en être autrement par ses chaleurs et ses vents qui balayent la région.
Tout au long du train, des passagers clandestins qui voyagent assis sur le minerai dans des conditions invraisemblables fument des cigarettes, se préparent le thé et trient les quelques marchandises qu’ils vendront une fois arrivés.
Quelques heures ont passé. Hasard ou coïncidence, ce soir c’est la pleine lune et ce travelling n’en sera que plus long…
Fin du 16ème mois de ce beau voyage en Mauritanie.
Merci à Gilou et JC pour ce qu’il m’ont donné ici et m’avoir aussi permis de mettre tout cela en musique… et bonne chance à Jean Marc et Ludovic pour la suite de leur voyage vers le sud.
Je vous embrasse
Avec toute mon amitié
Vincent
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