Le Fuy Chang II est ancré dans l’anse de Tham Moeui (littéralement le voyage nouveau), dernier coude de la rivière avant d’apercevoir les grattes ciels du centre d’Ho Chi Minh. Je n’arrive pas bien à savoir quelle est la couche de peinture la plus récente sur sa coque. La rouille, sans doute. Je ne sais pas depuis quand il est à l’ancre a coté du Southern Star sur lequel, par contre, s’affère une armée de dockers en sueur, qui un a un monte les sacs de 80 kilos de riz sur le pont. A la lecture des inscriptions sur les sacs jaunis et déjà usés, j’imagine que celui ci va larguer les amarres vers un port de la corne d’Afrique de l’est ou de l’ouest.
Le port de Saigon se situe à une trentaine de mille de la mer et il faut remonter la rivière du même nom afin d’y faire escale. Cette navigation sinueuse que l’on peut faire sur ces vieux ferries russes à hydrofoil entre les plantations, les mangroves, a un goût d’extrême. On y croise des sampans filant à vivre allure, des navires de commerce venus charger ou décharger leurs cargaisons, des masses végétales flottant entre deux eaux, souvent des rhizomes de nénuphars arrachés des berges par le courant des marées. Grenouilles, grues cendrées, ragondins, rats et mouettes y rythment la vie animale.
L’anse de Tham Moeui est une forêt de grues rouillées, de vieilles amarres et de vieux câbles abandonnés, de navires usés qui ne peuvent plus que naviguer dans des eaux dont la règle unique est qu’il n’y en a pas, de règle. Une fumée épaisse et le sifflement d’une corne annonce le départ d’un de ses voyageurs des mers chaudes. Les bouts encore fait de chanvre pour certains sont usés, les grues en panne, les noms effacés des coques, les ports d’attache oubliés à la poupe. Les marins à bord n’ont pas l’air d’être dans un meilleur état. La peau brûlée par le soleil, les tee-shirts aux inscriptions variées et hétéroclites tachés de sueur et d’huile de moteur, de crasse et de poussière, les yeux bleus et l’expression invariablement souriante cependant. Les langues que l’on parle ici sont encore plus nombreuses que les pavillons qui flottent au dessus des cheminées fumantes.
Les barges en bois à la proue décorée se regroupent, à bâbord et tribord, pour y être vidées de leur cargaison du riz du Delta du Mékong. Les moteurs des sampans pétaradent. Le port devient un marché flottant au gré des arrivées et départs des navires. L’une des rives, du coté des hangars, regroupe les quais et le centre de Saigon. L’autre rive en face sur laquelle je me trouve oscille entre bidon ville et désorganisation. On y accède en prenant un petit ferry rond. J’y suis assis sur ma moto, la chaleur est pesante et humide, les effluves presque poisseuses. Une fourmilière de vietnamiens s’affèrent bruyamment à leur tache, cuisine, réparation, soudure. D’autres regardent les premiers, buvant un café froid, fumant cigarettes sur cigarettes, l’oisiveté pour seule occupation.
L’anse de Tham Moeui en plus d’être un refuge pour bateaux en fin de vie est sans doute l’un des plus grands bordels de Saigon. Quel vision que de voir au milieu de cette cohue toutes ses femmes maquillées, proprettes et souriantes, assises attendant presque patiemment un marin indien, philippin, chinois ou russe qui viendra l’espace de quelques heures ou quelques minutes s’égarer dans les bas fonds d’une ville d’orient. Il n’y a qu’à Amsterdam que les marins chantent encore Monsieur Brel car ici, les bars rivalisent sur la puissance des décibels qui crachent les classiques du rock local ou de la musique fleur bleue vietnamienne.
Ce soir, dans ma petite ruelle, le son d’un piano s’envole d’une fenêtre entrouverte.
Je pense à Michel parti cette semaine sur la frontière Irako koweïtienne et à Chloé avalée hier par le turnover des expatriés auxquels on s’attache…
Je pense très fort à vous tous et vous embrasse.
Fin de ce huitième mois au Vietnam.
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