Tuesday, June 05, 2007

Un pas furtif sur la route de la soie...

L’exercice d’écriture auquel ici je m’attelle est plus périlleux qu’à l’accoutumée. Périlleux à deux titres. Le premier car il consiste à traduire un sentiment nouveau sur l’Afghanistan, sentiment qui est né en moi ces derniers jours et que je détaillerai plus loin. Le second, car au delà même de l’immense répertoire de la sémantique française, il y a des moments ou seuls l’ici et le maintenant peuvent emporter la certitude d’un partage accompli. Et si j’ai eu déjà le privilège de traverser quelques unes des merveilles de cette planète, celle qui s’est offerte à moi il y a quelques jours concoure au rang des écrins qui changent une vie.
Ce texte et les clichés qui l’accompagnent seront sertis cependant des limites imposées par le bon sens qui doit prévaloir lorsqu’on fait ce que je fais ici et que l’on travaille pour l’Institution à laquelle j’ai la chance d’appartenir.
Le voyage requiert de celui qui le commence la dualité de l’acteur et du spectateur. L’acteur saura animer l’humain, pour faire naître des compagnons de voyages ces moments intimes d’échanges et de silence. Le spectateur saura, quant à lui, se laisser gagner par les musiques sans note des partitions d’une nature qui fait battre le cœur d’un homme.

Partis vers le nord, sur une longue route asphaltée qui relit Kaboul à Mazar-I-Sharif, par un de ces matins merveilleux que seul offre ce printemps afghan, nous fumes brefs à bifurquer sur une chemin poussiéreux en direction de Bâmyân. Le ciel est d’un bleu pur et soutenu. Le soleil est encore assez bas pour que chaque contraste de couleur s’exprime avec la plus fine acuité. Le halo de poussière kabouli est déjà loin derrière. Depuis Kaboul, la route s’est enfoncée dans cette immense plaine entre les montagnes des districts de Bagram et de Charikar, serpentant dans les vignes, longées de petites boutiques, de maisons de briques. Déjà les montagnes affichent leur aridité et exposent une palette fournie déclinant l’ocre sous toutes ses pigmentations.

Notre voiture s’enfonce alors dans un ruban vert au creux des vallées, dans l’intimité d’une végétation baignées des eaux pures et fraîches venue des dernières neiges qui recouvrent les cimes. Passant d’un côté et de l’autre de torrents, franchissant les ouvrages d’irrigation qui domptent la gravité pour nourrir les semences, c’est au salut des afghans que nous répondons avec respect, courtoisie et tradition. Chacun s’affère aux champs à donner forme aux sillons, aux ouvrages d’irrigation pour faciliter l’écoulement des eaux. D’autres ont commencé leur marche pour se rendre à l’école ou au village le plus proche pour y vendre ou acheter l’indispensable vital. Moi qui jusqu’ici n’avait connu que la ville, me voilà sans ambages plongé dans la ruralité afghane, celle des couleurs, de la simplicité, celle qui offre à celui qui la veut, qui l’accepte avec l’humilité du voyageur étranger. La magnificence d’un pays, telle que la bas, ailleurs, chez nous elle n’apparaît déjà plus. J’entraperçois au gré des ravins qui s’enchaînent, et des tableaux qui marquent mon cristallin, le lien qui attache chacun des afghans à la terre, à l’origine, à ces montagnes. Et s’impose à moi doucement l’explication simple et sereine de la sainteté d’une terre.

Plus nous montons en altitude, plus nous croisons le trafic des minibus, des camions descendant le charbon de bois d’une province frontalière, des ânes montés, des mules fardées des fruits du labeur. En retrait des hameaux de maisons de terres aux toits plats, flottent au vent les drapeaux verts des sépultures des êtres chers récemment partis. Les vents dominants doivent se faire plus fréquents, la cime des bouleaux et des peupliers pointent vers l’ouest comme le regard de celui qui s’éloigne.

Je repense ici à ces vallées de l’atlas marocain, ou le ruban aqueux nourrit la vie des hommes au milieu d’une aridité alpine de pierres et de terre. D’heure en heure, entrecoupées de quelques arrêts de thé et d’inspirations, nous arrivons à la passe de Shibar, qui ouvre les portes du plateau du même nom, ou les steppes vertes à perte de vue remplacent les biseaux tranchant des montagnes des contreforts de l’Hindu-kuch. Descendant des gorges de Shumbol, nous arrivons à Bâmyân après 8 heures de routes. 2500 mètres d’altitude. Mes yeux se sont fixés sur mille et un détails, j’aimerai tant pouvoir restituer ce voyage à celui qui n’en est pas.
Et ici de ne citer que l’autre voyage dans le monde de ceux qui ont été nos hôtes et qui ont su par leur accueil, leur amitié, leur sourire, sans oublier leurs poissons de rivières frits, parfaire ce spectacle de la touche insensée.
Bâmyân. Je fais ici mon entrée pour la première fois et sans une certaine émotion sur la route de la soie. Bâmyân inscrite au même rang dans mon imaginaire que Dunhuang, Samarkand ou Andijan.

J’ai rêvé bien des fois des steppes de Mongolie sans jamais pour le moment les avoir foulées et c'est l'Afghanistan qui m'offre ses frissons. Et c’est après une nuit de repos, à travers ces étendues bouleversées, entre rafales de neige et éclaircies grandioses que nous sommes repartis vers ce que certains de ce monde ont classé au patrimoine mondial de l’Humanité, les lacs de Band-I-Amir. Quelques photos donneront peut être à certains l’impression plus précise d’une nature absolue, de la magie des temps qui ont su conservé ce qu’aucune main n’aurait su dessiner, aucun esprit illustre imaginer.

Et pendant trois jours, se sont enchaînées les vallées de Kakrak, d’Agdahar-I-Sorkh Dar, la cité de Shahr-I-Zohak, Bâmyân, ses bouddhas et son habitat troglodyte et tout cela sur fond de contreforts de cette chaîne de montagnes qui raisonne comme un gong dans l’esprit du nomade. Et au firmament de la beauté scintille la force de ceux et celles qui arpentent ses chemins escarpés.

Je finirais ici en laissant à chacun le libre voyage à travers son imagination. Voguer en espérant que chacun de ceux qui entreprennent ce voyage sait mettre toute son humilité, son respect et son écoute dans la rencontre de l’autre. Je mesure aujourd’hui à quel point j’aurai eu la chance de côtoyer une fraction même infime des hommes de ce pays et à quel point je leur suis redevable de l’envie qu’ils me donnent de revenir ici, à Kaboul, à Kandahar ou ailleurs.


Fin du 11ème mois passé en Afghanistan et déjà se profile un autre continent....

Amitiés
Vincent

PS : Par souci premier de respect des traditions et règles d’Islam, et par respect des règles qui nous sont proposées, seules quelques photos et sans personnage seront sur mon album en ligne.