Tuesday, March 04, 2003

Du petit étang au petit sillon..

Les contrastes, le retour !

Ne compter pas sur moi, à l’occasion de cette missive mensuelle qui vous est désormais familière, pour vous contraindre à la lecture d’une énième lettre à Monsieur Bush ou à Saddam, de vous saper le moral au moyen d’une analyse de la situation Onusienne, d’un inventaire des playmobiles de Kim Jung Hill, ou de faire cyniquement le constat de l’ultime acuité des analyses de nos politiciens ou des foules de par le monde.
Je dois dire que je ne m’attendais pas à ressentir, sans une once une culpabilité, ce doux sentiment que plus je vieillis et moins j’ai de certitudes et fini même par me demander si ces certitudes ont été remplacées par un soupçon de sérénité - à défaut de sagesse - ou par un cynisme opportun!
Je n’ai hélas pas, et le regrette vous vous en doutez, des talents de guignols, de fanfarons de troubadours (ni même l’âne qui va avec) pour colporter un peu de légèreté instantanée, et vous coller si besoin est des sourires béas.
Alors, comme j’imagine chacun d’entre nous, j’essaie de tracer un sillon pour m’y glisser et faire en sorte qu’il en sorte un peu de positivisme malgré tout. Je ne crois pas qu’il faille culpabiliser à se protéger autant que faire ce peut des atteintes sur soi qu’engendrent ces évènements. Alors laissons certains creuser des tranchées, espérer que d’autres puissent s’y réfugier et creusons chacun notre petit sillon.
J’ai donc commencé mon hibernation de cet hiver planétaire qui pour une fois semble ne pas prendre les couleurs et les douceurs habituelles des saisons occidentales.
Et là encore, il fait plutôt bon sous les latitudes sous lesquelles je vis. J’ai commencé par mettre un peu de ciel bleu et de vert de rizières dans mes journées. Imaginez… Sur une petite moto, circulant tant bien que mal sur de petits chemins de terre entre deux rizières, offrant une palette de verts dans tous ses états, dans lesquelles pataugent quelques femmes protégées du soleil par leur chapeau conique, sous le regard assez indescriptible de quelques buffles noirs, au fond les montagnes du Cambodge affleurant au loin. De là, je n’ai entraperçu l’ombre d’un conflit, d’une épidémie de pneumonie, d’une tension. Tout n’y est que tradition, lenteur, douceur et sourire.
J’y est presque l’impression en y portant ma Croix (la rouge bien sur) que l’on me souriait de l’air de dire : tu t’es perdu petit scarabée, quand le grand serpent en colère crache du feu, tu te dois d’en sentir la chaleur !

Et au détour d’une lecture, je trouve :

« Mais d’abord, qu’est ce que l’Orient ? En principe, une simple expression géographique ; en fait une conception brutale qui scinde l’humanité en deux tronçons, et qui remplace à ce titre la vieille notion hellénique des Barbares. Elle exprime, dans sa rudesse symbolique, l’orgueil satisfait de l’Occident en présence d’un monde entier qu’il englobe dans le même mépris » Sylvain Lévi, 1911.

Fin du 7éme mois au Vietnam. Ici, tout va toujours très bien et j’aime toujours à me rapprocher de cet Orient.

Je vous embrasse

Vincent

Sunday, March 02, 2003

l'humble étang

« Dao-sheng, viens t’asseoir par ici, et parlons un peu. Il est vrai que nous avons rarement eu l’occasion de parler ; mais il semble que dans la précipitation rien d’essentiel n’a été touché. Il y a tant de choses qui restent à dire. Cette vie y suffira-t-elle ? Parlons calmement et lentement, c’est cela. Nous avons attendu si longtemps, nous connaissons la vertu de la patience, n’est ce pas ? Laissons d’abord le vent printanier qui a l’habitude de résorber la pluie sécher nos larmes.
Laissons ensuite le soleil d’été qui fait s’épanouir, réchauffer nos rêves, gelés dans la nuit de l’attente. Sais tu que les vrais trésors sont délicats et cachés, et que le cœur d’une femme est riche et profond comme un jardin ? Pour atteindre la vraie profondeur, il faut suivre des sentiers pleins de méandres ; il faut longer les bosquets riches de secrets. Il y a encore, par-delà les feuillages, l’humble étang, avec des libellules qui l’effleurent, des feuilles de lotus qui l’abritent. Sauras-tu t’asseoir auprès de cet étang, prêter l’oreille à ce qui y murmure, prêter le cœur à ce qui y palpite. Les pétales de fleurs gorgées de rosée, y éclosent en un geste d’accueil ; trop ouverts, ils prennent le risque de se détacher, de se faner. Sauras-tu alors y capter non seulement la beauté qui se montre en surface, mais qui jaillit de la racine, le désir qui ne tarit jamais ? Et puis surtout il y a l’eau transparente qui, apparemment, est peu de chose mais qui contient tout un autre ciel. La lune s’y mire toujours pareille, toujours nouvelle ; les nuages s’y déploient, à l’infini…

François Cheng
L’éternité n’est pas de trop – Editions Albin Michel

J’en entends déjà certains au rictus narquois qui vont me dire que je suis allé effleurer de plus prêt le triangle d’or que la surface du petit étang… ! Je me demande parfois si au delà des quelques problèmes auxquels je dois faire face et des méandres qui donnent quelques reliefs à mon parcours au Vietnam, je ne suis pas en train d’effleurer au détour de quelques ruelles ou allées de Ben Thanh Market, l’immense plaisir d’être un petit peu admis dans cette communauté. De Phan, la petite vendeuse de fruits au coin de la rue qui ne manque pas de me saluer matin et soir d’un geste amical, à Phuong, et son magasin de meubles, Hai et ses journaux qui volent à chaque passage de voiture, Hoa qui distribue les tickets de parking pour les mobylettes au club sportif de la jeunesse, Tam qui tentent en vain de faire vibrer la corde du sentimentalisme de quelques expatriés ventripotents leur proposant d’offrir des roses à leurs compagnes d’un soir, Xuan qui supporte patiemment mes tirades sur l’état de ce monde. Petite galerie de portrait que j’aimerai tant pouvoir partager. Comme je l’ai fait avec ceux qui m’ont rempli de joie en poussant leur parcours jusqu’ici et avec tous ceux avec qui nous aurons l’occasion de s’asseoir au bord de l’humble étang…

Et à ceux qui pensent que mon voisin est un raffineur de pavot, je vais leur concéder que j’y ai en effet bien trouvé une technique de relaxation mais au regret de les décevoir, il ne s’agit que de quelques pressions sur des points d’acuponcture, qu’on appelle aussi Shiatsu.

Votre Balloon favori en tout cas a re-signé non sans plaisir. Il fait bon vivre ici, les programmes avancent bien, utiles je crois. J’espère que la vie vous est douce et que malgré certains méandres, d’aucuns n’oublieront pas l’humble petit étang.

Fin de mon sixième mois au Vietnam.

Je vous embrasse
Vince

PS : Mea culpa pour quelques oublis d’anniversaires et témoignages d’autres grandes réjouissances de vos vies, ils ne sont pas sans pensées chaleureuses.